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Spiral

De musique avant toute chose

The Who Who's next (Track/Decca, 1971)

Oubliez le titre presque auto-méprisant: comme si cet album n'était qu'un album de plus... Oubliez aussi l'ironie narquoise et proto-punk de la pochette, cet album, bien qu'il s'ne défende en cultivant dès la couverture cette métaphore urino-Kubrickienne à l'égard de tout ce qui est grandiose, est d'une architecture bien plus complexe, d'une portée bien plus cosmique qu'il n'y parait.

Au menu, neuf chansons, parmi les meilleures (Euh... Won't get fooled again? Baba O'Riley? Behind blue eyes?) du groupe, et qui proviennent de plusieurs sources, dont un projet délirant et qui ne verra jamais le jour, Lifehouse. Aux manettes: Glyn Johns, mais... aussi, beaucoup, Pete Townsend, même si la pochette crédite "The who and Glyn Johns".

Il avait réussi à terminer, enregistrer avec le groupe, et sortir son opéra Tommy, mais... C'est sans doute parce qu'il était frustré de ne pouvoir mener ses projets pharaoniques jusqu'au bout , que Pete Townshend a sans doute désiré minimiser la portée de cet album en procédant à cet intitulé ironique. Alors que les hymnes rock furibards et les ballades de luxe qu'il contient allaient faire la joie de leurs fans dans les stades où ils allaient se précipiter, pour y devenir sourds, mais contents, et ce durant une dizaine d'années encore...

Il faudra s'y faire: Pete Townsend a beau être un guitariste furibard, il aime la fréquentation des synthétiseurs et claviers. C'est pour moi en partie ce qui gâchera Quadrophenia, du reste. Mais pour l'heure, les Who font débuter leur album par des volutes synthétiques du plus bel effet, vite suivies de piano. Baba O' Riley est surprenante de dignité et de retenue, avec en prime des bonus gouleyants: l'alternance des vocaux entre Daltrey et Townsend, des petites interventions de guitare, Keith Moon, et une soudaine digression qui mène à un solo définitif de... violon (Dave Arbus). Baba O'Riley (le titre mêle les patronymes de deux idoles de Pete: le philosophe Meher Baba et le compositeur Terry Riley) parle d'exode volontaire et de prendre la bonne décision dans l'optique de se prendre en mains.

C'est tout doucement, avec Townsend qui garde le pied sur sa pédale de volume, que commence le morceau suivant, qui louche plus sûrement vers le hard rock: guitares saturées, Daltrey avec les muscles au vent, Moon en liberté, et l'ancrage permanent de John Entwistle en mode sécurité... Bargain est en revanche une chanson philosophique dans laquelle Townsend exprime l'aubaine (bargain) de tout perdre, afin de ne plus faire qu'un avec Dieu ou les éléments... Carrément.

En 2:10, essentiellement acoustique, Love ain't for keeping est un hymne à la vie simple, et à la communion avec la nature. Une petite halte bienvenue, mais Townsend et Moon prouvent qu'une halte ne manque pas nécessairement d'énergie. Pete se fend d'un solo acoustique court mais sûr.

My wife est le grand retour de John Entwistle dans la composition, ce qu'il n'avait pas pu faire sur Tommy; le morceau est typique de son style, simple en apparence, mais offrant l'utilisation d'éléments inédits, comme des cuivres qui déboulent de nulle part. Cette fois, le bassiste n'en est pas le seul interprète. la chanson résulte d'une dispute avec Mrs Entwistle...

The song is over commence par du piano et une guitare enjolivée en passant par une cabine Leslie. C'est Pete Townsend qui interprète le début, et après un couplet chanté avec seulement le piano et la guitare, il est remplacé par Daltrey pendant que la rythmique s'installe. Le compositeur a multiplié les modulations et impose à Daltrey de forcer sa voix à plusieurs reprises. La structure multiplie les changements de rythme, les sections. C'est la première fois qu'une nappe de synthé est utilisée dans la musique des Who... Le thème, ici, est une réflexion sur la création d'une chanson.

Getting in tune: Daltrey chante sur un début apaisé (avec Nicky Hopkins au piano) et la ballade est vite accompagnée du groupe entier. C'est encore une fois consacré au pouvoir salutaire de la musique, et l'atmosphère, qui est celle d'un hymne, sied à merveille. Contrairement à la précédente, en revanche, celle-ci était destinée à la scène...

Going mobile: chantée par Pete Townsend, cette chanson extraite du projet Lifehouse parle des voyages (camping car, ce qui nous change du Magic Bus!). Il chante "The world's my home when I'm mobile", donc une fois de plus Pete Townsend en profite pour faire passer sa philosophie profonde... et très personnelle. Si elle n'est pas le meilleur moment de l'album, surtout au regard des deux suivantes, Going Mobile maintient la qualité exceptionnelle de l'interprétation avec en prime des passages de guitare avec wah-wah, qui montrent que Townsend ne cherchait pas à suivre le modèle Hendrixien.

Daltrey chante Behind blue eyes, qu'on ne devrait plus présenter... Cette ballade qui dévie vers le hard-rock aux pieds fermement sur terre, est essentiellement introspective, celle d'une personne qui en veut à la terre entière de ne pouvoir réellement révéler son moi profond, fait d'une forte dose d'auto-déception... On est donc assez loin de Louie Louie. Que dire d'autre? A écouter en boucle? Dont acte.

...Et tant qu'à faire, autant finir sur un chef d'oeuvre de près de neuf minutes! Won't get fooled again, qui commence sur une magnifique introduction aux claviers qui montre comment un groupe inspiré peut faire monter le suspense d'un rien, en jouant avec tous les éléments à sa disposition. Si les variations ne sont pas aussi nombreuses que dans The song is over, par exemple, la façon dont la chanson est structurée, avec des allers-retours des différents thèmes et ambiances, en fait un excellent résumé du génie de cet album... et en est ouvertement la conclusion, écoutez la fin. Et le message qui pourrait être aussi bien politique (voter pour l'un c'est comme voter pour l'autre), lié aux années soixante dont les espoirs ont été déçus (ne vous faites pas avoir la prochaine fois) ou simplement à l'abandon des idéaux de jeunesse, est, il faut bien le dire, suffisamment passe-partout pour que tout un chacun s'y retrouve. Et bien sûr, ce brûlot est devenu un hymne scénique...

Faire le tour de cet album, c'est un peu comme visiter l'antichambre d'un musée sur les Who: une façon excellente et apéritive de commencer à entrer dans une carrière glorieuse. C'est l'album central, le plus glorieux et héroïque, la clé de voûte et je suis tombé à court de métaphores, donc je m'arrête respectueusement...

 

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