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Spiral

De musique avant toute chose

Johnny Smith (Verve, 1967)

On n'attend pas très longtemps avant de se prendre en pleine poire le génie de Johnny Smith, avec cet album, qui commence par un Memories of you magistral: la rythmique lance l'introduction sur un seul accord, auquel Smith répond par des volutes de guitare tellement aérienne qu'on en reste par terre... Le thème est une ballade, et elle est impeccablement jouée par le guitariste, directement, et avec comme seul interlocuteur le piano de Hank Jones, la rythmique étant surtout là pour assurer les arrières. 

Et on n'attend pas trop longtemps pour la suite non plus: Manha de Carnaval (également connue sous le nom plus facile à gérer pour les fans de jazz Black Orpheus) est bien sûr prise sur un tempo bossa nova; et si Johnny Smith n'y révolutionne rien, ni la musique, ni le jazz, ni son instrument, il faudrait malgré tout avoir la pire mauvaise foi au monde pour ne pas reconnaître le jeu parfait du bonhomme, qui donne une version absolument parfaite du thème. Là encore, il sera secondé un peu par Hank Jones.

On pourrait continuer ainsi pour chaque morceau, ça ne changerait rien: Johnny Smith, guitariste maniaque et obsédé absolu de la note juste (pire que Wes Montgomery, et ça il faut quand même le faire) signait des solos superbes, techniquement très sûrs, sans jamais être pyrotechniques, et le faisait dans un contexte le plus souvent maîtrisé, avec un goût prononcé pour le quartet et le trio. Cet album enregistré en plein Summer of love (!) avec Hank Jones, George Duvivier et Don Lamond, fait partie d'un trio de disques produits pour Verve à la fin des années 60, tous avec trois complices, généralement les mêmes, d'ailleurs... 

Et Smith y explore avec gourmandise et dans des versions presque définitives les grands succès du jazz des années 60, qu'il feint de revisiter: My favorite things, Black Orpheus déjà cité, On a clear day you can see forever, et l'inévitable Girl from Ipanema. Mais il se permet aussi d'ajouter des chansons qui pourraient paraître inattendues, mais qui en réalité faisaient leur chemin dans le jazz: signées Lennon/McCartney, on entendra en effet deux impeccables versions de Michelle (En quartet), d'une part, et de Yesterday (En solo). Pas un seul instant, on ne lèvera les yeux en signe de protestation tant le style sûr et autoritaire de Smith réussit à nous convaincre que ces deux classiques ont été écrits pour qu'il les interprète un jour.

Hank Jones était un excellent pianiste, mais c'était lui aussi un discret: tout en se révélant toujours pertinent, il assume du début à la fin un profil assez bas: sa mission n'est pas de briller... pas plus que Duvivier et Lamond. Mais Smith, pour autant, n'a de fait pas grand chose à faire pour tirer la couverture à lui. Ce serait pourtant une erreur de s'imaginer qu'il en ait profité pour se contenter d'un service minimum...

Le bonhomme était ainsi fait: génial par ses capacités phénoménales, humble par sa discrétion, mais vous lui mettiez une guitare dans les mains, et il en tirait du velours, en arrangeant dès qu'il jouait, raffinant et raffinant encore son interprétation, devenue à la fin évidente dans son dosage, sa construction, le mélange entre mélodie, embardées d'accords, jeu avec la rythmique, octaves, et j'en passe. Barney Kessel a résumé son collègue en deux phrases définitives: "Personne au monde ne joue comme Johnny Smith. Il se peut qu'ils aient leur propre style, mais personne ne joue aussi bien que lui". Un autre a dit: "Je ne peux pas être aussi parfait"...

...Il s'appelait Wes Montgomery.

 

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