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Spiral

De musique avant toute chose

XTC Mummer (Virgin, 1983)

Un Mummer, c'est dans la tradition populaire du théâtre en Angleterre, un personnage qui se grime pour participer à des pièces jouées dans les campagnes, à certaines fêtes populaires...

Pourtant, le sixième disque d'XTC a bien failli s'appeler Songs from the garden, en raison d'un fait significatif: c'est principalement dans son jardin, à Swindon, en compagnie d'une superbe guitare acoustique Martin qui avait déjà été sérieusement mise à contribution sur le double album English Settlement sorti en 1982, qu'Andy Partridge avait composé la majeure partie des titres qu'il se proposait d'amener sur l'album. Un cadre inhabituel, pour celui qui avait souvent cherché à s'enfermer chez lui, dans une chambre, voire dans les chambres d'hôtel visitées sur la route... Mais justement, 1982 a marqué la fin des tournées, l'abandon définitif de la scène pour les quatre musiciens. 

C'est donc à un menu champêtre, acoustique, parfois même rustique, que nous sommes conviés. Un disque qui aurait pu n'être que celui du renoncement (renoncement de la scène, renoncement au succès qui était la principale motivation du groupe sous l'impulsion mercantile de leur manager, renoncement de participer à la course à l'influence et au remplissage des stades), s'est avéré un disque bien plus profond, plus influent même qu'on aurait pu l'imaginer à sa sortie: car en 1983, on ne savait pas trop quoi faire de cet album enregistré par une équipe changeante, dans plusieurs studios, sous la responsabilité de plusieurs producteurs (Steve Nye et pour Great fire, Bob Sargeant), et que Virgin a attendu longtemps avant de le sortir sans le moindre coup de pouce promotionnel.

Oui, une équipe changeante: si la décision de Partridge d'arrêter la scène était aussi définitive en 1982 qu'elle l'est aujourd'hui, il n'en avait jamais été discuté en groupe, et pour Colin Moullding et Dave Gregory, c'était un coup sérieux porté à leur sécurité financière: l'essentiel de l'argent gagné par XTC à cette époque provient des tournées... Les royalties ne leur sont pas (encore) versées pour leur apport, et ils sont payés à la chanson: pour Partridge, qui en fournit toujours une dizaine, ça va, mais pour Moulding qui n'en apporte que deux à cinq, et pour Gregory qui ne compose pas, l'arrêt des concerts est un danger important! Quant à Terry Chambers, il quittera le groupe au milieu d'une séance d'enregistrement. On ne l'entend que sur deux chansons, au final...

L'inspiration de Mummer est vaste, finalement: il y est question de la vie sous des angles philosphiques (Beating of hearts et Human Alchemy de Partridge), oniriques (Wonderland, de Moulding), on y utilise des métaphores liées à la campagne et l'agriculture (Love on a farmboy's wages, Great Fire, de Partridge et Deliver us from the elements, de Moulding). Partridge y envisage l'amour sous un angle naturel et sensuel, une tendance qui reviendra de plus en plus dans ses chansons (Ladybird), et inspire Moulding qui en livre une version toute personnelle (In loving memory of a name); Partridge va même jusqu'à lancer deux bouteilles à la mer avec Me and the wind (Un message virulent adressé à son manager caché derrière des métaphores étonnantes), et Funk pop a roll qui semble promettre un avenir plus rock 'n roll l'auditeur attentif (Le chanteur a toujours dit que Funk pop a roll était la première chanson de The big express, l'album de 1984: rendez-vous est pris!)...

Musicalement, le groupe avance à pas de géants, en se refusant cette fois à encapsuler un style spécifique dans l'album, un geste très ordonné pour les trois disques précédents, ce qui a contribué à dérouter à la sortie de Mummer: le fait que des chansons aient été enregistrées plusieurs mois après les autres pour "compléter" l'album à la demande des cadres de Virgin qui ne s'y retrouvaient pas, mais aussi que les musiciens aient pu vraiment prendre leur temps pour arranger leur son, fait sans doute beaucoup, avec pour résultat que Mummer est en réalité, comme Drums and wires, Black sea et English Settlement, une plongée dans l'inconnu, aussi osée et excitante que les autres, mais aussi plus dangereuse... La présence de Chambers se fait sentir sur les deux premières chansons, mais dès Love on a farmboy's wages, le remplaçant (Peter Phipps, qui est excellent) semble ouvrir aux trois autres un univers de rythmes qu'ils n'ont jusqu'alors jamais exploré... Gregory y délaisse ses guitares pour utiliser les claviers d'une manière très inventive, surtout le piano acoustique, d'ailleurs. Et le mélange entre jazz (Ladybird nous fait entendre Moulding à la contrebasse, mais celui-ci continue d'utiliser aussi la basse fretless avec laquelle il expérimentait depuis Black sea), musique ouvertement psychédélique (Gregory y utilise pour la première fois le mellotron, et ne s'en remettra jamais!), expériences sonores toujours soumises à des limites imposées par la rigueur propre au groupe, et folk champêtre, y ouvre des perspectives nouvelles. Comme si, et j'hésite à l'écrire, il FALLAIT que le groupe cesse de tourner afin de parfaire leur art.

Bref, Mummer, avec son air de ne pas être plus qu'un album raté entre deux chefs d'oeuvre officiels, est un disque important, celui avec lequel Andy Partridge, Colin Moulding et Dave Gregory vont contraints et forcés commencer à prendre leur temps pour livrer, tous les deux ou trois ans, des disques fabuleux, dans lesquels chaque chanson est une épopée, aux beautés insoupçonnées. Bref: XTC est en route vers Skylarking, Nonsuch et Apple venus, pour le meilleur et le meilleur... Ici, il y a de quoi s'enthousiasmer dans chaque chanson. Le fait qu'en dépit de trois singles absolument formidables, personne ne se soit précipité pour acheter cet album à l'abord difficile s'explique sans doute facilement. Mais s'il est difficile d'y entrer, on n'a plus envie de sortir une fois dedans.

 

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