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Spiral

De musique avant toute chose

Biffy Clyro Puzzle (14th floor/Warner, 2007)

Il y a un avant et un après Puzzle, pour le groupe Ecossais Biffy Clyro; notamment, on peut quand même constater que ce quatrième album, sans pour autant pouvoir se glisser dans la discothèque de votre grand-mère aux côtés de Mireille Mathieu et André Rieu (fin des stéréotypes, c'est promis), représente quand même un remarquable recentrage. On entend les fans d'ici, se plaindre de ce que leur groupe préféré soit devenu "commercial" en allant enregistrer aux Amériques (précisément au Canada, d'ailleurs, en Colombie Britannique) en compagnie du producteur Garth Richardson. Ca s'appelle l'évolution, et la démarche a été revendiquée de toute façon par les musiciens Simon Neil, et les frères James et Ben Johnston: et les trois premiers albums prennent constamment le risque d'être hermétiques à force de faire faire un tour de montagnes russes à l'auditeur, aussi formellement qu'émotionnellement...

L'émotion, justement, c'est le maître mot de ce qu'une chanson de Biffy Clyro, généralement écrite et composée par Simon Neil, et arrangée par les trois membres du groupe, a à proposer: une émotion provoquée par les riffs puissants accompagnés d'une rythmique taillée pour la route, mais aussi de mélodies travaillées jusqu'au bout, et d'arrangements qui incluent cette fois, bien sûr, l'architecture austère mais poussée jusqu'à ses derniers retranchements de la guitare, la basse et la batterie, mais aussi de façon discrète des claviers en nappe (Ben Kaplan), et surtout un orchestre arrangé et conduit par le Néo-Zélandais Graeme Revell, qui est surtout composé de cordes, mais il y a aussi un choeur mis très en avantage sur le premier titre, et un saxophoniste sur un titre, Mike Norman.

Bref, le groupe a décidé de prendre logiquement le chemin guidé par la texture dramatique, et souvent riche, de leurs chansons, en obtenant un budget pour faire les choses en grand, quoi de plus normal? Le résultat n'en sera pas pour autant du Céline Dion, car en simplifiant leur style qui avait de toute façon tendance à virer au grandiloquent, Simon Neil a obtenu des chansons extrêmement réussies, dont les treize titres qui composent cet album ne sont d'ailleurs que le tiers: il y avait une quarantaine de titres dans lesquels choisir selon Neil. Des chansons qui comme toujours chez Biffy, sont plus sur un moment précis, un sentiment, une émotion donc, qu'une histoire proprement dite...

Living is a problem because everything dies est une illustration non seulement des ambitions du groupe (Lier dans un titre le choeur, l'orchestre, et le power-trio), mais aussi de la réussite, voire de l'aisance apparente avec laquelle la mayonnaise allait s'accomplir. C'est une merveille, qui substitue aux délires de tempo, au côté hard-core des premiers albums, une sorte de mur du son ouvragé et assumé. C'est aussi une chanson à la poésie directe (Images sans fioritures, vocabulaire religieux et sensuel) et aussi cryptique que possible... Quoique la chanson est aussi ironique que son titre le suggère.

Saturday superhouse, une chanson sur le moment durant lequel il faudra faire le bon choix. C'est un hymne à stade, avec ses guitares dans tous les sens, et une batterie aux cymbales omniprésentes.

Changement d'ambiance notable avec Who's got a match, dans lequel la guitare laisse de la place (tout en occupant du terrain, d'ailleurs il y en a deux!) au chant, pour une sorte de mélodie pop, mais au ton particulièrement acide. Les choeurs des frères Johnston sont irrésistibles (I'm a fire and I burn tonight).

La quatrième chanson, et ce sera de nouveau le cas sur les trois albums suivants, est une ballade. Ce genre de chanson destiné à bouger une foule dans un stade: As dust dances est superbe, de retenue d'abord, d'économie ensuite, et on voit bien que Neil est un mélodiste né, un chanteur qui a trouvé l'assurance de faire passer l'émotion en utilisant sa voix dans des dosages parfois extrêmes. Ici, on passe du chuchotement au cri, sans jamais se départir d'une dignité essentielle: la rythmique veille au grain, en particulier Ben Johnston et ses toms. La fin de la chanson débouche sur un instrumental inattendu (2/15th), négocié par Neil au piano...

A whole child ago commence par un riff de Stratocaster accompagné de la batterie et d'une basse qui occupe le terrain quand la guitare s'arrête. Une belle illustration de la mise en place fragile mais pourtant si sûre, du trio. Et le refrain (looks like we made it) réconcilie tout le monde derrière des power-chords puissants.

L'un des morceaux les plus boueux de l'album, The conversation is joue sur des métriques irrégulières, suivant les riffs de guitare et de basse. La chanson porte sur la difficulté à communiquer, un thème fréquent. Les sons de la basse de James Johnston, sous la guitare de Neil, sont l'un des atouts les plus formidables de ce groupe...

Stratocaster en son clair une fois de plus, puis les toms de Ben Johnston, pendant que la basse se contente de marquer les changements d'accords, Now I'm everyone nous fait entendre le groupe dans sa phase "power-pop", proche de tant de groupes de la new wave des tous débuts des années 80. Mais à peine audible, un saxophone participe au marquage rythmique lui aussi! Mais un break s'amuse à nous perdre en jouant sur plusieurs niveaux en même temps. Comme d'habitude, Biffy à son plus progressif privilégie les changements rythmiques et modulations, puis changements d'ambiance, sur les solos, une habitude de guitariste que Simon Neil n'a jamais souhaité prendre.

Semi-mental est sans doute le  titre le plus outrageusement punk de l'album. Le jeu de mots entre Sentimental et Semi-mental n'est sans doute pas le choix le plus heureux... Comme plus haut avec As dust dances, cette chanson incorpore aussi un titre léger au piano (cette fois chanté) qui contraste assez joyeusement avec l'agressivité de la chanson: 4/15th.

Love has a diameter commence par installer une rythmique puissante, dans laquelle James Johston prend en charge toute la dimension harmonique du morceau, Simon Neil gardant sa guitare pour quelques accents et quelques embardées. Les choeurs et le chant font une fois de plus dans la mélodie sans équivoque, avec de merveilleux moments de communion. La chanson porte sur l'impression embarrassante d'un garçon qui réalise que la fille avec laquelle il se trouve est trop bien pour lui.

Avec un titre comme Get fucked stud, on attendrait une chanson toute en énergie punk, on sera donc étonné devant une construction qui fait la part belle aux parties apaisées, chantées sans passion excessive par Simon Neil... jusqu'à 1:20 du moins, mais ça reste dans le domaine du raisonnable... La guitare tisse des murs presque palpables, et on a rarement entendu une Stratocaster, un instrument généralement délicat, traitée de la sorte...

Folding stars, bien qu'il vienne tardivement dans l'album, en est probablement l'hymne... et la plus belle chanson, haut la main: la Eleanor du refrain est Mrs Neil, mère, décédée d'un cancer; et la chanson parle de la difficulté à se sentir partie intégrante d'un monde dans lequel une personne essentielle n'est plus là. C'est d'une grande justesse, d'une grande beauté, et la composition en est très belle, avec ses couches de chant et de choeurs, et ses volutes de guitares, sur des power-chords puissants. 

Après les interludes 2/15th et 4/15th, le groupe revient avec une étonnante chanson, 9/15th: aidés par le choeur, Simon Neil et les deux rythmiciens chantent, voire scandent "We're on a hell-slide, help us". Puis, sur fond de guitare totalement saturée, on a en un couplet, un seul, la clé de l'album: quand on est en morceaux, comment redevenir entier? Puis le choeur revient, plus insistant encore. Un morceau spectaculaire, magnifique... et court.

Machines enfin reprend le concept tel que la chanson précédente l'a énoncé, sur un tempo de ballade avec guitare acoustique, Simon Neill chante: I 've started falling apart, I'm not savouring life; I've forgotten how good it could be to feel alive. Il sera rejoint dans le deuxième refrain par un contre-chant, qui reprend l'imagerie du puzzle: Takes the pieces and build them skywards. Pink Floyd (enfin, Roger Waters, du moins) avait choisi la métaphore du mur pour parler des affres de devenir un être humain adulte, c'est donc le thème d'un être humain comme puzzle qui a été choisi par Biffy Clyro (Ce que la pochette de Storm Thorgerson, tiens donc, vient confirmer). Cette dernière chanson, superbe, finit donc de verrouiller cette impression d'un concept intéressant, et surtout étonnamment clair, et le tout dans une chanson d'une grande beauté formelle, avec ses arrangements qui impliquent cette fois un violoncelle magistral.

Voilà fini le tout d'horizon, d'un album incontournable d'un groupe qui à l'époque avait beaucoup de conquête à faire, encore. Notons que Warner les a bien soutenus, en les aidant à promouvoir leur quatrième disque, ambitieux et coûteux, avec pas moins de six singles... Donc Biffy Clyro est devenu du même coup un groupe qu'on entend, et qui est familier. Même au supermarché. C'est fou, non?

 

 

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