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Spiral

De musique avant toute chose

Big big train Welcome to the planet (English Electric, 2022)

Pour commencer, une explication sur ce qui suit... On va faire comme si, le temps de cette chronique: comme si le chanteur David Longdon n'était pas mort, sinon on ne parlerait que de ça.

Welcome to the planet aurait du n'être qu'un EP ou un "companion album", comme il y a quelques années Far skies deep time complétait The underfall yard, ou The second brightest star qui venait en 2017 après le diptyque Folklore/Grimspound. Mais en lieu et place, les quatre musiciens permanents du groupe ont eu le temps (pandémie oblige) d'ouvrir le studio un peu plus, et d'intégrer les nouveaux arrivants (Dave Foster, guitare, Carly Bryant, piano et chant, et Clare Lindley, violon et chant) et de leur permettre de s'impliquer dans de nouvelles chansons, voire d'en composer: ainsi le premier titre est-il une composition de Dave Foster, et le titre final (qui donne son nom à l'album) une intrigante composition de Carly Bryant...

Je pense que Common Ground ratait sa cible, en s'obsédant à tenter de repousser toutes les barrières possibles, tout en étant essentiellement un disque à quatre: et puis, ce thème de l'entraide et de l'amitié sonnait un peu ironique, alors que trois membres du groupe venaient de partir... La bonne surprise, c'est que cet album, moins conceptuel, qui le prolonge et parfois le complète, est franchement meilleur. Et il fait ce qu'aucun album n'a jamais fait depuis les débuts de Big Big Train: chaque chanson (il y en a neuf) est en dessous de la barre des 7 minutes et 15 secondes... Le résultat global st un album de durée raisonnable: 47 minutes. Moins concentré sur les compositeurs et contributeurs "historiques" (Longdon, Spawton), il réussit à renouveler intelligemment le répertoire en ouvrant de nouveaux horizons. A ce titre, la chanson Welcome to the planet est un tour de force, Carly Bryant ayant utilisé avec bonheur TOUTES les possibilités du groupe, de la flute de Longdon (qui lui laisse cette fois la place principale) à l'ensemble de cuivres, qu'elle s'est fait un plaisir d'incorporer à son morceau, écrit des années avant son arrivée dans le groupe!

Made from sunshine est une chanson positive, composée par Foster comme pour faire plaisir à Nick D'Virgilio (qu'on entend décompter juste avant: "one two three four five six one two three": c'est une mesure en 6/9, suivie d'une mesure en trois temps...). Clare Lindley, pour sa première contribution au groupe, et Longdon y chantent le bonheur des parents d'un nouvel enfant, et le titre respire la vie et la beauté de l'instant. Un solo du compositeur, très contenu, suit un passage très enlevé des cuivres: examen de passage réussi pour Foster qui réussit un exercice de style très proche de ce que Longdon sait si bien faire, un morceau d'ouverture évident. Nick D'Virgilio ne tempère pas son exubérance dans le magistral The connection plan, qui revient au thème de Common ground, et explore des terrains progressifs diers et variés avec un aplomb phénoménal. Le violon est joué par Aidan O'Rourke, qui était présent sur l'album précédent: c'est sans doute l'un des titres qui a été enlevé de l'album. Mais quelle introduction! c'est Longdon qui chante, seul, parfois aidé par NDV et Rikard dans des choeurs très haut perchés. Lanterna, tout en étant relativement court (6:30), est une épopée progressive due à Gregory Spawton. On y retrouve le son du groupe, mais c'est O'Rourke au violon, et Foster est absent. Les guitares sont jouées par Sjöblöm. On retrouve aussi les choeurs habituels. Mais le ton est délibérément sombre, aidé par des guitares plus dures que d'habitude...

Les deux chansons suivantes renouent avec deux ou trois traditions du Big big train d'avant: d'un côté, Capitoline Venus est une ballade lyrique mais contenue, avec peu d'instruments, choisis pour leur effet chaleureux: guitare acoustique et mellotron. Il offre une courte réflexion mélancolique sur le thème de Grand tour, le voyage pour la connaissance... De l'autre côté, A room with no ceiling est un instrumental signé par Sjöblöm. Il en assure tous les instruments qui ne sont ni la batterie (NDV) ni la basse (Spawton)... Une halte qui montre une fois de plus la science de ces musiciens pour les atmosphères et les textures... Y compris l'accordéon.

Proper Jack Foster, sorti en single il y a quelques mois, avec une magnifique vidéo animée, est une composition de Spawton où il revient sur sa jeunesse dont la joie avait subi un contrecoup: le divorce de ses parents. C'est enlevé, et c'est très beau, et on voit à quel point Carly Bryant et David Longdon savent mettre leurs deux voix ensemble au service de la chanson... Bats in the belfry (une vieille expression anglaise qui signifie "des araignées au plafond") est un solo de batterie mis en musique, en quelque sorte, dont le principal artisan est bien sûr Nick D'Virgilio, excellent de bout en bout. On a mis les petits plats dans les grands, et outre le batteur, on entendra ici la section de cuivres, Sjöblöm aux guitares et Spawton à la basse... C'est une excellente illustration d'un certain talent du groupe pour... la récup!

L'album se clôt sur deux chansons épiques, mais relativement courtes: Oak and stone est un cas unique ici, c'est une collaboration entre Spawton, D'Virgilio et Sjöblöm. Le bassiste a limité son rôle afin de laisser la place à un invité, le contrebassiste Riaan Vosloo, afin de servir la chanson. Mais Spawton a quand même officié au Mellotron. C'est lyrique, contenu et très beau... Welcome to the planet a tout, pour finir, de la pièce de résistance, avec des idées qui fourmillent: intro épique avec batterie et ensemble de cuivres... Longdon chante, un peu, avant de laisser la place à celle que les paroles appellent 'Auntie Carly'! ironique ou pas, le message de cette chanson superbe, et chantée par un ensemble de voix dominée par la pianiste, est de se laisser aller: tout ira bien, nous dit-elle. Avec cette musique inspirée, il n'y a pas d'autre mot, on ne peut que vouloir la croire. Et puis la chanson s'emballe, passe par des passages presque gospel (la dame a de la ressource!) puis par un retour au jazz des années 20, grâce aux cuivres... Une fin en forme de promesse: oui, Big big train existe toujours malgré les départs des anciens musiciens. Oui, il y a du sang neuf, et il a des choses à dire, tant et si bien que David Longdon a même décidé, lui qui n'avait que deux chansons sur Common Ground, de laisser sa place de compositeur, et se contente de signer les paroles de Made from Sunshine. Il faut dire qu'il était en plein enregistrement d'un album solo quand...

Ah oui, c'est vrai.

Ce Welcome to the planet, excellent de bout en bout, est donc le dernier disque de Big big train qui portera la marque de David Longdon, chanteur exceptionnel, flutiste, homme de scène redoutable, avant sa mort à l'âge de 56 ans. Un gentleman, tout le monde le dit.

Le sort a donc décidé avant les faits: Welcome to the planet, la chanson comme l'album, c'est un passage de témoin, d'un des architectes majeurs de cette formation du rock progressif anglais, vers un avenir qui reste inévitablement incertain. Mais l'album peut nous faire espérer que le groupe perdure. 

 

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