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Spiral

De musique avant toute chose

David Longdon Door One (English Electric, 2022)

Décédé en 2021, David Longdon était le chanteur du groupe de rock progressif Big Big Train, à partir de 2009 et jusqu'à l'accident qui lui a coûté la vie. C'était surtout un chanteur, compositeur et multi-instrumentiste doué, qui n'avait pas abdiqué une carrière solo, dont l'existence était d'ailleurs présentée comme une condition de son maintien loyal dans le groupe.

Qui a vu les concerts ou les extraits de concert du groupe, sait ce qu'il apportait à Big Big Train, une présence centrale, charismatique, celle d'un maître de cérémonie minéral et incontournable, debout devant en toute circonstances, y compris lorsque les chansons déviaient vers des digressions instrumentales. Et puis, il pouvait toujours jouer de la flûte... A partir de Far skies, deep time, Longdon a commencé à participer à l'écriture, et il est devenu assez rapidement l'une des deux plumes centrales du groupe... Il a aussi développé une activité parallèle, puisqu'il a enregistré en compagnie de la chanteuse historique Judy Dyble (Fairport Convention, Proto-King Crimson) un album (dans lequel les membres de Big Big Train font d'ailleurs un peu plus que de la figuration), intitulé Between a breath and a breath, écrit et interprété à deux, et ironiquement, Judy Dyble est décédée avant la sortie... C'est donc au tour de Longdon de mourir avant que d'avoir fini un disque. Mais celui-ci est assumé de A jusqu'à Z (pour 95% nous dit-on) par Longdon soi-même...

Sur cet album, Longdon est auteur, compositeur, chanteur, mais aussi guitariste et pianiste, sans parler de maître d'oeuvre. Le ton est résolument différent de ce que Big Big Train a à proposer, et la musique en est très électrique, tout en étant éclectique aussi. Le chanteur, tout en faisant appel discrètement à son ami Greg Spawton, s'est tenu à l'écart des invitations de ses copains, et se repose ici sur un groupe très présent, formé de Jeremy Stacey (batterie), Steve Vanstis (basses), Stuart McCallum (guitares) et Hazel Mills (claviers). Le talent de mélodiste, de chanteur évidemment, mais aussi l'intérêt de Longdon pour les formes classiques du genre, revisitées par les nouveaux artistes, éclatent au grand jour: on croise sur cet album des musiciens qui sont certes des membres de King Crimson (Jeremy Stacey) ou Soft Machine (Theo Travis), mais c'en sont les nouveaux représentants, ceux qui ont repris le flambeau et continué à étendre le champ d'action du rock dit progressif...

Et si le groupe Big Big Train, dans la plus pure tradition du genre, se livre à d'impressionnants albums concepts structurés comme des romans épiques, lui a choisi pour cet opus solo de privilégier une collection de chansons aux thèmes disjoints, mais en choisissant quand même d'aller du sombre vers la lumière... Et ouvrir les portes, sans doute: Door one, le titre de l'album, se présente comme une promesse de début, car si il y a une première porte...

Ca commence avec Into the icehouse, un instrumental marqué par l'utilisation de sons aussi bien musicaux que «ambiants», sans aller aussi loin que Pink Floyd dans cette direction! La gravité apportée par l'échafaudage est impressionnante, dans un crescendo émotionnel. L'instrument qui domine est un piano, qui ne livre que quelques notes d'une mélodie austère.

C'est le piano aussi qui entame Watch it burn, sur un rythme au groove extrêmement satisfaisant, la première chanson proprement dite. Beaucoup de guitares, ici, et ce bon vieil «usual suspect» du rock progressif qu'est le mellotron! La chanson, marquée par une mélodie entêtante de guitare (probablement Stuart McCallum, qui se fend aussi d'un court mais très emballant solo avec quelques volutes de wah-wah), parle de la fin d'une histoire, quelle qu'elle soit, et de «la regarder brûler»... Et là, on se dit que cet album, au moins, commence vraiment bien!

Continuant sur un créneau de pop progressive, sa voix se plaçant sur un tissu complexe de guitares, d'orgue Hammond, avec une rythmique tranquille mais sûre (le bassiste est Steve Vantsis, de Fish), la chanson suivante s'intitule There's no ghost like an old ghost. Un beau texte sur la façon dont ce qui reste parfois en mémoire sont les pires souvenirs! Les guitares s'activent, mais un solo de saxophone baryton nous rappelle la maîtrise de Theo Travis.

Profondément et directement lyrique, The singer and the song, revisite les années 70 à travers une mélodie assez complexe, qui aurait pu sortir de la plume d'un Freddie Mercury. Mais David Longdon n'imite pas Queen dans son arrangement, tout en épiphanies et en architecture sonore. Contrairement à Big Big Train, les chansons de cette première moitié sont livrées en 4 minutes, et il s'efforce de faire le meilleur dans ce cadre restrictif, et y réussit particulièrement bien. Stuart McCallum semble penser aussi à Freddie Mercury, et son solo (très court) n'est pas sans faire penser à Brian May, sans inutile virtuosité. La chanson parle du devenir d'une chanson, depuis l'écriture (nocturne, décrite dans la dimension physique, d'une plume sur du papier) jusqu'à l'exécution par un orchestre. Un sentiment de fierté pour David Longdon, qui pensait peut-être à la nuit où Big Big Train a soulevé le public du festival de Loreley en 2018 avec sa chanson Brave Captain!

La première face se clôt sur Forgive (but not forget). C'est une ballade, la plus longue de la face aussi. La basse (fretless) de Steve Vantsis, accompagnée d'un piano, renvoie un peu aux atmosphères d'une Kate Bush. C'est encore une fois sur la fin d'une relation, non exempte de reproches: forgive, but not forget, soit «pardonner, mais pas oublier»... Un soudain emballement de la rythmique déclenche une belle envolée des guitares. Il y en a deux, d'abord, j'imagine, Stuart McCallum assez proche de David Gilmour, puis en plus mesuré, probablement Longdon lui-même. Un pont chanté est l'occasion d'entendre Sarah Ewing, la compagne de David, aux choeurs... La chanson est un modèle de lyrisme assumé!

La deuxième face n'est composée que de trois titres, dont un qui a des dimensions épiques à la Big Big Train (dont le record est pour l'instant une suite qui approchait les 34 minutes, The London song (mais en trois parties)... Mais s'il fallait penser au groupe, c'est d'abord Sangfroid qui viendrait à l'esprit, puisque Greg Spawton (bassiste et leader de la formation, présent ici avec ses guitares acoustiques, tapi dans le mix) a révélé qu'il était envisagé de garder cette chanson au répertoire de Big Big Train... En lieu et place, elle apparaît donc ici, où elle bénéficie d'arrangements conséquents, notamment avec une section massive de cordes, enregistrées comme il se doit à Abbey Road... La chanson porte une fois de plus sur le bilan d'une vie passée à deux, et marquée par les interrogations et le regret: on comprend que Big Big Train ne l'ait finalement pas retenue, dans la mesure où elle ne cadre pas avec la thématique majeure du groupe... Les cordes, parfois rallongées par le mellotron dans la plus pure tradition, entament la danse, mais ça reste une chanson très rock avec sa rythmique nerveuse et ses guitares. La sens de l'atmosphère et des textures est très important, et la petite touche intéressante est la présence de la voix de Camille Chevrier, qui occasionnellement, rappelle le titre de la chanson, en français dans le texte... Sinon, le vocaliste David Longdon se rappelle inévitablement à notre bon souvenir dans une interprétation magistrale.

La plus longue des chansons, dédiée à la découverte par Longdon de l'hypno-thérapie, est Letting go: à l'issue d'une situation, que garder, que laisser partir? A quoi s'accrocher, quelle démarche adopter... Autant de questions que le morceau tente d'évoquer, dans une lente exploration marquée une fois de plus par les guitares, et agrémentée de textures sonores différentes, apportées à la demande de Longdon par Gary Bromham; Theo Travis a aussi beaucoup contribué, en fournissant d'une part des arrangements de plusieurs saxophones et instruments à vent plus exotiques (dont le duduk), et d'autre part par des contributions en solo et en mode particulièrement libre! Stuart McCallum aussi est présent avec un solo de guitare court, incisif et très mélodique... Le choix de laisser la chanson finir sa course au bout de 10 minutes, la rend certes difficile d'accès, mais c'est payant pour qui saura y donner le temps et l'attention nécessaires...

L'album se finit donc sur une... chanson d'amour. Love is all peut apparaître comme un titre naïf (sans parler du fait qu'il est aussi celui d'une chanson que vous connaissez, si vous avez grandi comme moi dans les années 70), mais c'est la façon de faire de Longdon, que de prendre frontalement les choses, ce qu'il a fait avec la pandémie sur la chanson de Big Big Train présente sur l'album de 2021 Common groundThe strangest times. Ici, le lyrisme s'accompagne d'une tendance au positivisme qui apparaît dans de beaux arpèges, la beauté tranquille de la basse fretless, les guitares avec tremolo, ou encore dans un solo de saxophone soprano de Travis. On est en territoire doux, chaud et confortable, que voulez-vous demander de mieux pour finir un album introspectif?

En tout état de cause, le principal problème de ce beau disque est d'être prometteur. Il prouve au passage que pour David Longdon, obscur chanteur talentueux qui avait été recalé (et c'est tant mieux) pour une audition chez Genesis, devenu soudainement avec Big Big Train le wonder-boy redoutable du rock progressif, il y avait aussi une vie à l'écart de son groupe d'adoption, de ses amis. Le fait que la pandémie ait donné un coup fatal à la belle formation qui a du se recomposer depuis était déjà une sérieuse déconvenue. Je le dis comme je le pense, de mon point de vue de fan, cet album très réussi prouve que le décès de David Longdon est, à sa façon, une tragédie. Ecoutons-le donc et prenons-en de la graine...

 

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