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Spiral

De musique avant toute chose

Porcupine Tree In absentia (Lava, 2002)

C'est la troisième naissance de Porcupine Tree. Steven Wilson avait créé le patronyme pour un projet dont il était le seul musicien, et avait tout du canular... La publication en albums, puis le succès grandissant avaient conditionné la constitution d'un groupe, avec Richard Barbieri (Ex Japan) aux claviers, Colin Edwin à la basse (fretless puis frettée), et Chris Maitland à la batterie... En polissant toujours un peu plus le son, le groupe s'était définitivement fait un nom, un vrai, et sans jamais renier une certaine créativité héritée du rock progressif, glissait vers une certaine pop agile (culminant sur Lightbulb sun), sous la direction de Wilson, qui restait le principal compositeur.

Chris Maitland est parti en fébrier 2002 et a tout de suite été remplacé par un musicien impressionnant, à la palette immense: Gavin Harrison. Ce dernier est d'emblée le pilier du son du groupe, sur l'assise duquel se construit désormais sa musique: toujours inventive, plus sombre, et sans aucune limite. Wilson (plus que jamais compositeur de plus de 80% du matériel contenu ici), galvanisé, a été tenté de jouer de façon plus importante sur les structures de ses chansons, multipliant les ruptures de ton, et se reposant aussi sur une dynamique héritée du metal, sans jamais sacrifier la partie contemplative et progressive de sa musique... Le résultat est spectaculaire.

Il se peut que ce soit justement cette volonté de s'attacher à un genre qu'il avait découvert avec fascination, qui a poussé Wilson à changer un musicien dans le groupe. Non qu'Harrison soit un batteur de metal, bien au contraire, il se définit lui-même comme un batteur de jazz... Mais justement, c'est d'un batteur de jazz qu'on attend une capacité à étendre le vocanulaire de la percussion, tout en fournissant une assise phénoménale à tous les développements possibles... C'est exactement ce qui arrive, Harrison est rompu à tous les styles, et son approche est bien moins classique que celle de son prédecesseur... et sans rien enlever au style déjà très solide de Maitland, l'arrivée de Harrison est décisive. 

Du Porcupine Tree d'avant, Wilson et ses collègues gardent le talent particulier pour installer une ambiance, fournir des mélodies irrésistibles, et utiliser avec conviction des harmonies vocales à tomber par terre... Outre l'assise rythmique, et les structures changeantes (écoutez l'introduction de l'album avec Blackest eyes pour vous en convaincre...), le "nouveau" Porcupine Tree semble plus être un groupe engagé vers une direction commune, et plus encore taillé pour la scène; C'est à cette époque que Wilson commence à travaille avec John Wesley, un guitariste et chanteur qui va le seconder sur scène, en prenant souvent les solos à sa charge; il est présent, symboliquement, ici, sur le premier titre... 

Autre collaboration importante, Dave Gregory s'est chargé de l'arrangement de cordes sur deux titres; c'était déjà son rôle sur Lightbulb sun, et sa contribution ici permet de faire le lien avec l'époque précédente du groupe...

Les chansons de Wilson avaient déjà des liens avec la psychiatrie depuis des années, parfois sous une forme presque parodique (on devrait parler plutôt d'un pastiche). Mais ici, on entre dans le vif du sujet, l'album explore de manière systématique les zones grises de l'âme humaine, qu'elle soit celle des gens comme vous et moi (enfin, vous au moins), ou des serial killers! la pochette, à ce titre, est assez suggestive...

L'album accumule les passages obligés et morceaux de bravoure: Blackest eyes, magistrale entrée en matière qui présent tous les ingrédients du chef d'oeuvre dès le départ en une seule chanson, Strip the soul et sa sombre épopée dans les tréfonds de l'âme, Gravity eyelids qui présente un dialogue ahurissant entre deux personnes, qui pourrait aussi bien être une scène d'amour qu'une scène de crime... The creator has a mastertape, l'un des morceaux les plus emblématiques de l'album, installe par le jeu de la rythmique une tension phénoménale, qui sous-tend un tapis diabolique de guitares, et les paroles racontent une famille élevée par un homme dans le but de les faire souffrir... a côté de ces horreurs (assumées), Wilson qui a déjà brocardé la facilité musicale ambiante sur Lightbulb sun (Three chords that made a million) enfonce le clou: The sound of muzak parle de la musique et dans une vision d'avenir qui sonne terriblement juste à l'époque de Deezer et Spotify, se lamente de la disparition de "one of the wonders of the world", l'une des merveilles du monde, qui décline dangereusement. Il voulait parler de la musique...

J'entend sd'ici des voix s'élever: comment peut-on s'abîmer dans un album qui ne raconte que ces horreurs? Mais le fait est que l'inspiration de Steven Wilson, qui de plus en plus en ces années 2000, a à coeur d'explorer les tourments humains, renvoie finalement autant à la littérature horrifique qu'à la psychanalyse, ou à Kafka. Lui qui dédiera une chanson d'un de ses albums solo (Codex, sur Grace for drowning) au personnage de serial killer du film The collector de William Wyer, sait bien que le cinéma est entièrement fondé sur des récits hallucinants de parcours criminels... Et cet ingrédient fondamental n'est jamais totalement explicite, c'est la beauté de cet album que de ne jamais asséner sa thématique. Il est vrai aussi que les albums suivants de Porcupine Tree (au moins jusqu'à The incident, le moins convaincant d'aileurs) auront à coeur d'explorer des thématiques psychologiques lourdes, entre dépression et cauchemar...

Bienvenue donc dans un disque d'une immens beauté, mais qui est aussi le sombre siège d'intense tourments. Renaissance pour Porcupine Tree, renaissance aussi pour Steven Wilson, dont le talent de compositeur monte ici sérieusement d'un cran.

 

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