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Spiral

De musique avant toute chose

Blur No distance left to run (Dylan Southern, Will Lovelace, 2009)

C'est à la faveur de la re-formation de 2009 du groupe Blur que ce documentaire (qui est sorti en salles, c'est dire l'importance du projet quand même) a été tourné: l'équipe a suivi le groupe en tournée, et les a également accompagnés dans leur privé durant les périodes de concert. On a droit à des images de concerts privés, de festivals, de répétitions... Parallèlement, sans langue de bois aucune, les quatre membres de Blur se confient, permettant un retour en arrière sur l'histoire d'un groupe qui est constitué depuis ses débuts en 1989-1990 des mêmes quatre personnes... avec deux trous béants quand même: en 2002-2003, l'album Think Tank et la tournée qui avait suivi, se sont faits sans la moindre collaboration (ou presque) de la part du guitariste Graham Coxon; et entre 2003 et 2009, Blur a sans jamais sceller la fin par une dissolution officielle ou une conférence de presse, ou quoi que ce soit, purement et simplement cessé d'exister...

C'est donc à une véritable introspection de groupe que nous convie de documentaire passionnant, qui s'approche du mystère de Blur sans vraiment le résoudre: comment un groupe des années 90, qui a tout vécu (mais alors tout, je vous laisse imaginer), a-t-il réussi à se retrouver, près de 20 ans après ses débuts, de nouveau sur la route, pour faire ce que beaucoup qui les ont vus considèrent comme leurs meilleurs concerts? Une large part de la réponse est, sinon dite, en tout cas largement perceptible dans ce documentaire...

D'une part, comme le fait remarquer un protagoniste, un journaliste de rock dont la participation se résume à un extrait d'émission de télévision des années 90 sur le thème "Blur c'est des cons, vive Oasis", Blur est un groupe qui a fait le parcours des Beatles en sens inverse: du rock indépendant, pour le petit label Food, vers la popularité planétaire et le mainstream. Mais c'est quasiment à leur corps défendant: car Blur n'a jamais eu de plan de carrière. Et si le succès énorme de Parklife (largement mérité de mon point de vue) les a plus ou moins forcé à répéter la formule dans The great escape, l'album de 1997, Blur est une renaissance: une occasion pour les quatre musiciens de faire rigoureusement ce qu'ils voulaient, et de le faire bien. Anglais, doués, suffisamment installés, les gens de Blur ont toujours eu la capacité de faire ce qui leur semblait important en tant qu'artistes... 

Et si les médias se sont faits parfois trop pressants (notamment durant la ridicule phase "britpop", qui a vu les quatre musiciens rivaliser pour rien avec un Oasis (qui n'avait pourtant rien demandé, sans parler de la différence abyssale de talent entre les deux groupes), ils ont su s'en sortir et accepter de lâcher l'ombre, tout en gardant leur intégrité artistique, alors que Oasis s'est embourbé dans une orgie de cocaïne avec l'album Be here now, l'un des tas de boue les plus gluants de toute l'histoire, sans doute... 

Si Graham Coxon a lâché le groupe en 2002, c'est que c'était nécessaire, tout bêtement: le documentaire ne cache pas le fond du problème: le ressenti négatif des trois autres, la vérité toute simple non plus (l'alcoolisme de Graham, un problème qui s'est depuis résolu, du reste), ni le fait que cet éloignement leur a permis de se rapprocher plus sûrement que s'ils s'étaient forcés à cohabiter...

Mais au-delà de solder les comptes d'une manière pacifique, le documentaire est fascinant par le fait qu'il nous conte deux histoires, en réalité, qui se racontent sous nos yeux. L'une est, bien sûr, la montée en puissance puis la déconfiture d'un petit groupe si Anglais, fait de deux timides (Graham Coxon et Dave Rowntree), et de deux grandes gueules (Alex James et Damon Albarn); on y assiste à la rencontre entre les quatre ados, puis leur montée sur scène (fantastiques images d'archives de 1989!), sous le triple patronage de la pop des années 60, du punk et de la scène indépendante des années 80. Leurs albums (On ressent bien la frustration devant l'insuccès de Modern life is rubbish, leur deuxième), leurs tubes, leurs ratages, leurs tournées, leur grand virage de 1997 (l'album Blur), l'expérimentation avec William Orbit (l'album 13), puis la rupture entre Damon et Graham. On y assiste à la façon dont un chanteur de génie semble vampiriser un groupe, alors que Damon Albarn n'a jamais conçu le groupe majeur de sa vie sans les trois autres... D'où le déséquilibre de Think Tank, et la volonté d'en finir avec le groupe...

Mais on assiste donc à une autre histoire, plus inattendue, et qui n'était d'ailleurs pas prévue lors du début du tournage de ce qui s'apprêtait sans doute à être un documentaire très poli, très informatif, mais du genre à servir la soupe, et à vendre la re-formation du groupe, comme s'il s'était agi d'un nouvel album. Le fait est qu'aucun des quatre musiciens ne mâche ses mots ici, que les quatre vérités sont dites... Les conneries d'ados (Le bris méthodique des vitres du bus pendant la tournée Américaine de 1993, tellement ils s'ennuyaient), la drogue, l'alcool, l'insécurité des uns et l'excès de confiance des autres... Tout est dit dans le respect de chacun, mais sans pour autant prendre de gants. Et puis ce qui se passe sous nos yeux finit par dépasser l'influence de ces quadragénaires qui ont tous passer l'âge de se laisser aller: on assiste non seulement aux retrouvailles de musiciens, qui certes ont tout intérêt à se retrouver ensembles sur la même scène de temps à autre, mais surtout à la prise de conscience par les quatre hommes que ce qu'ils vivent est fabuleux. Pour s'en convaincre, le groupe est vu à Glastonbury, interprétant la chanson Tender, sans réaliser qu'une fois qu'elle sera finie, le public continuera sans eux pendant quelques minutes... La scène est vue, largement, par un plan de Damon Albarn réalisant ce qui se passe, et submergé par l'émotion...

A l'issue de la tournée qui est montrée dans ce film, Blur est retourné en studio, pour enregistrer quelques titres, sortis au compte-goutte dans les années 2010-2012; puis ils sont retournés régulièrement sur scène, avant de rester coincés suite à l'annulation d'un concert à Hong-Kong pour deux semaines, durant lesquelles ils ont enregistré ce qui allait devenir leur huitième album, et l'un des meilleurs, The Magic Whip: un retour en grâce, qui prouve qu'il y a désormais moyen de vivre, et de survivre longtemps, du rock 'n roll, et avec bonheur, de surcroît. Un documentaire d'un intérêt rare, donc, et riche en moments musicaux, authentiques au possible: le groupe a vraiment revisité son répertoire de fond en comble en 2009-2010...

 

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