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Spiral

De musique avant toute chose

Electric Light Orchestra Secret Messages (Jet/CBS, 1983)

J'aime bien les puzzles.

Une fois n'est pas coutume, on va parler ici d'un album pas sorti, du moins pas sous la forme prévue au départ: Jeff Lynne souhaitait en effet sortir l'album Secret messages, le dixième de l'Electric Light Orchestra (si on excepte le live de 1974, et l'album de la bande originale de Xanadu, en 1980), sous la forme d'un double. Une marque certaine de confiance en soi, sachant que le musicien avait déjà sacrifié à la forme longue avec l'exceptionnel Out of the blue en 1977.

On imagine qu'il y a eu incompréhension, de part et d'autre, et débat, mais le label (Plus sûrement CBS que Jet) a refusé, préférant un album simple plus facile à promouvoir. Des 18 chansons prévues, 11 seulement sont sorties, dont une (Time after time) uniquement sur les cassettes et CD, en guise de bonus track... Exit le double, exit aussi la pochette, dont j'ai utilisé une recréation (plus bas) comme illustration, histoire à mon tour d'entretenir la confusion. 

L'affaire a sans doute laissé de sérieuses traces, aussi bien entre Lynne et son administration, mais probablement aussi sur le groupe. Quant aux fans ils se sont saisis de l'affaire pour en faire une cause! Une cause qu'ils ont gagné, mais partiellement: après qu'on ait pendant des années pu trouver sur plusieurs CD ou compilations la plupart des titres manquants, l'album est disponible depuis 2019 dans une version élargie, qui est effectivement sorti en un double LP... Après tant d'années à démentir toute possibilité de sortie, Lynne a fini par capituler. Il est très probable que le très ombrageux compositeur/grand manitou ne souhaitait tout simplement pas y revenir... le fait que le groupe se soit déchiré à l'issue de l'enregistrement, ce qui avait précipité le départ du bassiste Kelly Groucutt, n'y était peut-être pas étranger: n'ayant pas eu de succès, Secret Messages était un peu le début de la fin pour E.L.O. ...

Mais jugeons sur pièces: tout d'abord, voici la liste des titres disponibles sur la version (avec bonus) de 1983. J'ai indiqué les durées, car une comparaison avec les durées indicatives de la version double révèle qu'elles sont différentes...

1. Secret Messages (4:44) 2. Loser gone wild (5:27) 3. Bluebird (4:13) 4. Take me on and on (4:57) 5. Time after time (4:01) 6. Four little diamonds (4:05) 7. Stranger (4:27) 8. Danger Ahead (3:52) 9. Letter from Spain (2:51) 10. Train of gold (4:20) 11 Rock 'n roll is king (3:49)

Voici maintenant la liste des 18 chansons prévues initialement, avec leurs durées respectives, données d'après les durées indiquées sur les masters:

1. Secret Messages (4:51) 2. Loser gone wild (5:17) 3. Bluebird (4:13) 4. Take me on and on (5:02) 5. Stranger (4:30) 6. No way out (3:27) 7. Beatles forever (4:30) 8. Letter from Spain (2:59) 9. Danger Ahead (3:47) 10. Four little diamonds (4:12) 11. Train of gold (4:22) 12. Endless lies (3:35) 13. Building have eyes (4:04) 14. Motor factory (?) / Rock 'n roll is king (3:10) 15. Mandalay (5:20) 16. Time after time (3:56) 17 After all (0:41)18. Hello my old friend (8:37)

...Car rappelons-le: il ne s'agit pas seulement de retirer certaines chansons ou de les remettre. Tout comme vos albums classiques, des Beatles ou des Stones, ont fait l'objet d'un master différent suivant les versions (mono ou stéréo, anglaise ou américaine, tout ça ce n'est pas la même chose!), il y a eu deux masters différents de cet album, avec parfois pour certaines chansons des différences plus que notables. J'en signalerai ici ou là, en fonction bien sûr de ce qu'on sait à l'heure actuelle... On notera qu'une chanson, donc, est absente...

Avant d'entrer dans les détails, évacuons le concept: comme son titre l'indique, Secret messages était un jeu de pistes, avec messages secrets et subliminaux un peu partout, que des fans se sont depuis amusés à trouver (il y en a dans les paroles, la musique, sur la pochette sans compter les messages à l'envers, un classique du genre...). Et puis c'est tout: comme tous les concepts de ces albums, celui-ci est instantanément jetable. Ce qui comptait réellement, c'est l'accent mis par les musiciens sur l'instrumentation moins synthétique que l'album Time qui allait très loin dans la déshumanisation.

A ce titre, la première chanson, Secret messages, envoyait des signaux en propulsant la guitare au premier plan. Elle contenait une intro bricolée avec synthés, effets divers et messages à l'envers, puis une entrée en matière en groupe, excitante et mélodique. C'est un titre qui est boudé par les vieux fans, mais à tort. La production en est soignée, et c'est un moyen efficace de commencer un album d'ELO. Lynne le joue encore aujourd'hui.

Changement d'ambiance avec Loser gone wild. Si Richard Tandy est en première ligne avec ses synthés, la guitare n'est jamais loin. Lynne chante avec une grande dose de blues et de réverbération dans la voix,et... le refrain gâche un peu la sauce en doublant le tempo d'une façon qui tranche un peu trop. On entendra avant le premier refrain, un chien qui aboie quatre fois, ce qui est bien pratique. Un solo de guitare bien mené prolonge le feeling de blues des couplets.

Bluebird partage l'allusion à la couleur bleue avec un grand nombre de chansons de Lynne... C'est une chanson délicate, très réussie, sur un tapis de guitares acoustiques, dans laquelle la basse semble disparaître au profit de pédales midi... Lynne laisse libre cours à son inspiration sixties.

Take me on and on s'enchaîne sur la version courte et il n'y pas de raison que ce ne soit pas cas sur le double album. Lynne y joue d'une Fender Stratocaster, après des années d'utilisation de la Gibson Les Paul, et là encore le blues n'est pas très loin. La production n'en fait pas trop, ce qui est un bon point...

A partir de là, l'album dans sa version étendue diffère sensiblement:

Stranger commence par une introduction chargée de mystère avant de se lancer sur un rythme de croisière, guitare en tête. Du ELO classique, sans fioriture. Tandy y brille au piano électrique, et Lynne y est lyrique. Les cordes de Louis Clark y font une rare apparition vers la fin... 

No way out est donc resté inédit de nombreuses années, on le trouve désormais non seulement sur la version allongée, mais aussi sur l'édition CD courante de l'album, en douzième position, et elle a également été disponible sur une compilation sortie en 1990, Afterglow; c'est à la fois une chanson mineure (je me refuse quand même à parler de "remplissage"), et un exercice de style "jazz" réussi, par quelqu'un qui est toujours attentif à la forme et aux sons. Maintenant, une question: la contrebasse est-elle jouée par Groucutt, ou par son remplaçant, un certain... Jeff Lynne?

 

Letter from Spain a une introduction un peu plus longue sur la version d'origine que sur l'album de 1983. C'est une chanson toute en douceur, assez synthétique dans sa conception. Les choeurs en sont très travaillés, et Lynne semble se lancer dans un duo avec lui-même, comme si la rupture avec son bassiste était définitivement consommée.

Après une deuxième face nostalgique, Danger ahead se lance dans un rock'n roll quasi bubblegum qui est rafraîchissant. Le groupe sait toujours se tirer de ces mélodies un peu sixties...

Four little diamonds a aussi une introduction plus longue sur le double. C'est là encore un tempo rapide, avec choeurs et un rythme bien soutenu par Bev Bevan, le batteur sans second degré... Le titre est sorti en single, assez typiquement pour Lynne qui dans les années 80 privilégiait une promotion basée sur le direct et l'efficace plutôt que sur le subtil. ...Tiens, des chiens, encore?

Train of gold est intéressant par la direction prise après une introduction énigmatique. La mélodie fait un peu double emploi avec d'autres chansons déjà entendues sur l'album, et Lynne chante dans son registre le plus lyrique... mais les cordes de Louis Clark semblent indiquer une direction à la Discovery, mâtinée de blues. On y entendra au violon Mik Kaminski, l'un des trois musiciens virés en 1978. La Gibson Les Paul est de retour pour un solo court et plein de soul.

En dépit des sons modernes, et des percussions synthétiques, c'est à Roy Orbison que fait penser la chanson suivante, Endless lies. D'abord parce que Jeff Lynne n'a pas pu s'empêcher: "Bye bye, Pretty woman...". Mais la chanson suit un cheminement complexe: après le début, un court passage change d'ambiance, avant que Lynne ne nous ramène à la case Orbison en lui empruntant son légendaire lyrisme. On y entend aussi une partie de guitare baritone, probablement une Bass VI, jouée par Lynne. La chanson est longtemps restée inédite dans cette version après avoir été mise de côté; une autre version (partiellement réenregistrée et re-structurée) a été placée sur l'album Balance of power de 1986. Comme No way out, on peut trouver cette version originale de Endless lies sur la version CD de Secret messages sortie en 2001.

Building have eyes: cette chanson pop sans cervelle est amusante comme tout, avec de fortes réminiscences de Time... les guitares en plus. Elle a finalement pu sortir en 1983, étant la face B du single Secret messages.

C'est sous le titre Motor factory que la chanson suivante était prévue au départ; elle devait être composée de percussions "samplées" sur des sons d'usine, et raconter la crise des industries... A la place, c'est une petite bluette avec un titre passe-partout, Rock 'n roll is king. On notera que les sons métalliques sont là quand même... Et cette fois encore, le solo de violon est dû à Mik Kaminski. la fin de cette chanson telle qu'elle est sortie en 1983 est en fait l'épilogue de l'album, d'où la différence de temps entre les deux versions citées plus haut. La version du double album restitue une fin plus classique.

Mandalay, uniquement disponible sur Afterglow, est une des chansons de ELO qui joue constamment entre modernité (les sons électroniques) et classicisme (le lyrisme sixties affiché par la voix de Lynne). On comprend un peu pourquoi au moment de choisir parmi les chansons celle-ci se soit fait éjecter... on comprend aussi qu'elle ait été placée en queue de peloton...

Time after time: quant à celle ci, c'est bien simple, je pense qu'elle ne devrait pas être là. Des choeurs robotiques et irritants, une mélodie ratée, et la voix de Lynne trop en avant. Le mixage en est complètement raté, bref, c'est un naufrage. Typiquement, elle était finalement disponible sur la version de 1983, même si c'était en tant que bonus! 

After all est un instrumental sur lequel le mystère plane. Car entre la première version disponible (sortie en face B de Rock 'n roll is king en 1983) et la version initialement prévue, il y a une différence de une minute et quarante-trois secondes, quand même. Dans sa version sortie en bonus sur le CD de 2001, c'est structuré et varié... La version prévue à l'oigine, et donc maintenant disponible, devient donc une petite halte avec une interaction limitée entre Richard Tandy et Lynne.

Hello my old friend est aussi disponible sur Afterglow mais dans une version un peu raccourcie: mais si on explique que c'est le morceau qui devait finir l'album, et donc se conclure par l'épilogue désormais collé à la fin de Rock 'n roll is king, on comprendra facilement cette variation de durée. C'est une ballade qui prend son temps. On peut regretter la robotisation du rythme, une boucle plus ou moins synthétique, mais Lynne y chante sans artifice, une chanson à l'ancienne, qui mène à une résolution qui nous rappelle que Lynne est sans doute un vulgarisateur de la mélodie mais aussi que c'est un rôle qu'il a toujours pris à coeur. Et ici, les trouvailles étranges abondent, pour délayer encore et toujours un final qui nous est promis comme grandiose... C'est aux alentours de 5:30 que Bev Bevan fait enfin son apparition, ainsi que les cordes de Louis Clark. L'impression donnée par ce final est que le ELO des temps héroïques est de retour... Mais aussi que décidément, Lynne écoute souvent les Beatles, surtout I am the walrus!

...Sinon, oui,on entend bien "Hello Goodbye", et un choeur d'enfants qui chante "Frère Jacques" à a fin de la chanson. Et en toute fin, comme sur la version 1983 de Rock 'n roll is king, j'espère que vous suivez, on y entend "Welcome to the show", ce qui au bout de 78 minutes bien remplies, est assez amusant.

Examinons maintenant ce qui est sans doute considéré comme "l'éléphant dans la pièce", comme disent les anglo-saxons. Cette chanson attendue sur l'album, et qui a été retirée avec 6 autres, avant de disparapitre corps et biens... 

Beatles forever: si vous voulez mon avis, voilà la raison numéro 1 pour laquelle on a mis tant de temps à voir débouler une version officielle de l'album (presque) intégral dans les magasins. D'une part cette chanson qui se veut un hommage d'un fan transi à son groupe préféré (il ne savait peut-être pas qu'il allait travailler avec les trois survivants?) est d'une naïveté confondante (qui confine à la stupidité parfois); ensuite, il se trouve que Lynne cite aussi bien musicalement que dans les paroles un certain nombre de chansons des Beatles, dont les droits ont été de tous temps détenus par des chatouilleux... Donc la jolie ballade inédite coûterait sans doute si on la sortait un prix exorbitant en droits à payer. Et il se murmure que Jeff Lynne en serait embarrassé... Ce qui n'empêche pas la chanson d'avoir atteint un statut impressionnant de Graal. Car oui, la seule solution pour Lynne afin d'accepter de sortir cet album a été d'en supprimer l'une des chansons qui étaient attendues en single. Officiellement, on ne peut pas l'écouter. Hum...

L'album sorti intégral en 1983 n'aurait pas été le meilleur du groupe, sans aucun doute, mais il est passionnant... presque malgré lui. Un disque coincé entre deux époques, et qui une fois sorti en version incomplète, pas vraiment aidé par une promotion molle, n'a pas eu le succès escompté car Jeff Lynne, qui n'a pas eu le moindre mal à trouver à s'occuper, n'avait pas anticipé le fait que son désir de retourner aux fondamentaux (Rock, guitare, sons acoustiques... enfin dans une certaine mesure) allait sérieusement passer de mode... Dommage, mais même si finalement une version double est effectivement sortie, elle nous laisse quand même paradoxalement un puzzle sur les bras, et moi, j'aime bien les puzzles.

 

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