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Spiral

De musique avant toute chose

Supersister projekt Retsis Repus (2019, SOSS)

Les Nits, groupe Hollandais toujours en activité après plus de quarante années, sont un arbre qui cache une forêt. Au milieu de cette forêt mal connue, on trouve un autre arbre, le groupe Supersister (1966-1974), dont l'essentiel historique de la production discographique consiste en quatre albums et une poignée de singles bien frappés, enregistrés entre 1970 et 1974. Le lien entre les Nits et Supersister est vite trouvé: le pianiste, chanteur et compositeur Robert Jan Stips, venu à la rescousse du jeune groupe Pop dans les années 80, était resté, et il y est d'ailleurs toujours. Ce qui ne l'empêche pas d'être aussi le chanteur, pianiste, organiste et grand manitou de Supersister, et l'un des quatre membres fondateurs qui jouent sur l'album séminal Present from Nancy, enregistré en 1970, et qui trace de façon très claire un trait d'union inattendu entre La Haye et Canterbury, tout en louchant de manière gourmande vers Frank Zappa et ses Mothers of Invention.

Oui: Robert Jan Stips, l'excentrique pianiste des Nits, bien connu pour ses envolées lyriques un peu déjantés mais toujours si contrôlées, qui tranchent avec la rigueur rythmique et mélodique de Rob Kloet et Henk Hofstede, est un pionnier du rock progressif de la première heure, un de ces dingos hautement révérés, parmi lesquels on trouve Robert Fripp, Steve Howe, Peter Gabriel, Robert Wyatt, Richard Sinclair ou Kevin Ayers... Les autres membres originaux de Supersister sont Marco Vrolijk (batterie), Ron Van Eck (basse, décédé en 2007), et Sacha Van Gest (Flute, décédé en 2001). Aujourd'hui, Stips est sans doute le plus actif des deux survivants, mais a passé beaucoup de temps à rappeler l'héritage de son groupe: d'abord en participant à la dernière re-formation des quatre fondateurs (en 2001, peu avant le décès inattendu de Van Gest), puis en jammant autour du répertoire du groupe, en 2010 et 2011, enfin en interprétant seul au piano l'intégralité des compositions contenues sur leurs trois premiers albums, en 2016. L'étape suivante est cet album, enregistré cet hiver, sur lequel Stips donne à entendre onze plages, toutes des compositions originales, et c'est un "à la manière de" particulièrement intéressant...

Bien sûr, il aurait pu faire de cet album un duo entre les deux survivants, mais ce n'est pas ce qu'il a opté de proposer. En lieu et place, chaque composition se voit interprétée par un ensemble calibré et choisi expressément en fonction de l'arrangement voulu. Un certain nombre de principes ont été établis: Stips est le seul chanteur soliste, de sa voix de basse, fatiguée mais encore très reconnaissable; pas de flûtiste, car on ne peut pas remplacer Sacha Van Gest; à la place, des trombones et des violons! et pas à la façon de Geoff Richardson, mais bien sous forme de parties écrites... Tous les autres musiciens sont donc des invités, y compris Marco Volrijk, sur une  chanson et une seule. bref, de là à penser que nous sommes face à un album solo de Robert Jan Stips, il n'y a qu'un pas. Et pourtant ce que nous entendons est organique, c'est une musique ouvragée, certes pensée par un seul homme, mais clairement vouée à être exécutée par une collectivité. Et les sons choisis, entre contrebasse, cordes et trombones d'un côté, basse électrique, orgues trafiqués et effets vintage (ces sons de fuzz!!) de l'autre, font un pont entre aujourd'hui, et un hier fait de musiques savantes et innovantes, qui tentaient d'étendre l'univers de la pop à coup d'invention permanente: une musique inclassable, aussi belle qu'iconoclaste! 

Robert Jan Stips convoque même certains de ses petits camarades de la grande aventure de Nits sur Memories are new IV, qui ouvre l'album: cette suite court depuis les années 70, a impliqué Supersister mais aussi les Nits, puisque Memories are New III était sur le EP Kilo en 1983. Cet opus IV n'est ni une chanson à la façon des Nits, ni du Supersister hardcore, juste une façon d'entrer en matière en se raccrochant à un fil rouge tangible qui ait du sens. la mélodie, qui permet à Stips de se faire soutenir d'un certain nombre de chanteurs, et de sortir une batterie de sons qui auraient été à l'aise sur un album de 1970, est magistrale, et installe parfaitement l'ambiance particulière de cet album d'aller-retour permanent entre les deux époques.

Avec une partie de batterie virtuose, en duo avec le piano de Stips, I am you are me/Transmitter est un autre moment magistral: le chant de Stips se joue du surréalisme des paroles, et on se demande si c'est vraiment ce jeune homme de 69 ans qui est ici à l'oeuvre. Toute sa batterie de claviers semble y passer... On notera une apparition de la wah-wah, avant un solo très proche des interventions sublimes d'un Richard Sinclair dans Caravan.

Il est seul sur Sister talk, un dialogue entre sa main droite (piano électrique) et sa main gauche (basse), qui est répété vers la fin de l'album. C'est très court, dans les deux cas...

For you and nobody else est le plus long des morceaux de l'album, et c'est justement la chanson sur laquelle Stips a convoqué Marco Volrijk; ils y installent d'emblée une impressionnante ambiance, avec les cordes et les trombones, sur des tempos inattendus. Bart Wijman (à la basse électrique) y a une partie superbe, magnifiée par un son exceptionnel, et par ses dialogues avec le piano et les cordes. La chanson, sans livrer tous ses secrets, pourrait bien être sur le paradoxe du temps qui passe en nous faisant à la fois plus fort et... plus vieux. L'étendue des arrangements est impressionnante, et c'est une écoute parfois exigeante, mais qui livre tous les plaisirs possibles.

Max Eco est une référence à peine déguisée à la chanson Mexico, et on y est en territoire là encore très référentiel. La chanson comprend de nombreuses allusions au passé de Supersister ("She was naked"), et un ensemble mélodique et rythmique qui part dans tous les sens, certes, mais... de façon organisée.

La deuxième partie de l'album est moins spectaculaire, mais recèle de nombreux passages formidables. Hope to see you there again est une lente traversée, digne et majestueuse, aux sons de claviers très nombreux, accompagnés par les cordes. Peu de chant, ici, mais un choeur dominé par la voix sans émotion de Stips, pour un message vers l'au-delà. Yellow days suit, sans grande conviction, mais en continuant à osciller entre arrangements luxueux et présence de claviers des années 70. La chanson ressemble au bilan d'un vieux couple. J'y regrette l'utilisation manifeste d'auto-tune, une faute de goût qu'on n'attendait pas chez Robert Jan Stips! Celui-ci récidive ses petites variations en solo sur Sister talk, ensuite.

Pour lancer le final, Stips commence par des ambiances très particulières sur Next door movie, un instrumental où il nous renvoie aux souvenirs de Zappa et Satie, deux de ses maîtres à penser. Puis il s'amuse avec Cuckoo à mêler de nouveau le souvenir de Supersister et la présence des Nits Joke Geraets et Henk Hofstede (chant) et Rob Kloet (batterie): la chanson, excentrique et gentiment cinglée, ressemble à un de ces singles hallucinants, avec discours essentiels (ici, c'est le comédien Freek de Jonge qui s'y colle), produits sans rire par le groupe progressif dans les années 70. Stips y joue avec les sons, la vitesse pour changer les voix, et c'est un superbe moment de grande classe déjantée.

Enfin, Hope to see you again est une sorte de reprise en mode léger de la mélodie triste et lancinante de Hope to see you there again. Une façon de finir sur une note inquiète, un disque qui ne sert pas que de mausolée  Supersister: si nous savons que les Nits reviendront probablement encore avec un nouvel album, combien de chances avons-nous que ce grand diable de Robert Jan Stips se fasse de nouveau plaisir avec un projet tel que celui-ci?

 

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