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Spiral

De musique avant toute chose

Supertramp Even in the quietest moments (AM Records, 1977)

La perfection n'est pas de ce monde. Certains artistes la visent pourtant, et s'en approchent de tellement près que le moindre défaut devient gênant... Ce qui est probablement la raison de mes réserves sur cet album, coincé au milieu d'une série impressionnante de chefs d'oeuvres. Non qu'il soit mauvais: aucun des cinq albums réalisés par Supertramp entre 1974 et 1982 ne pourrait être considéré comme tel. C'est juste qu'il était le troisième d'une formule qui peinait à se renouveler, et qui prenait même des habitudes bourgeoises...

Devenus un quintet superstar (De gauche à droite, Dougie Thomson, basse; Bob Siebenberg, batterie; John Anthony Helliwell, anches, choeurs, claviers e tutti quanti; Roger Hodgson, guitares, claviers et chant; Rick Davies, piano, claviers, chant), qui s'apprêtent à remplir les stades, le groupe n'a plus le feu sacré et la camaraderie de 1974: les budgets pour chaque album deviennent conséquents, et les ambitions sonores suivent. Mais le travail de groupe, en studio, s'en ressent: désormais, Ken Scott et Supertramp travaillent plus que jamais en couches successives, méticuleusement enregistrées musicien par musicien; les synthétiseurs, qui prendront beaucoup de place sur l'album suivant , ne remplacent pas encore les cordes, qui sont bien présentes en particulier sur le morceau le plus ouvertement progressif de l'album, Fool's overture. Mais derrière cette belle ordonnance, ce qui frappe c'est bien sûr le fait qu'entre les productions de Hodgson d'un côté, de Davies de l'autre, Supertramp n'a ici que sept morceaux au compteur. Ce qui n'empêche pas bien sûr l'ensemble de totaliser plus de quarante minutes, mais qui est symptomatique d'un goût du luxe qui est bien dangereux en 1977! A l'heure où les punks raccourcissent encore plus le temps moyen d'une chanson que leurs cheveux, c'est en effet assez imprudent, surtout quand les chansons ne justifient pas forcément cette longueur.

Non que je veuille faire la fine bouche: il y a du beau linge, ici, à commencer par l'excellent Give a little bit, single en or qui jouera beaucoup pour que l'album se fasse entendre un peu partout. Sa progression est du Hodgson classique, mais la rythmique, et l'apport de la guitare acoustique, apportent un plus non négligeable, même si on regrette un tempo un peu poussif; From now on, classique instantané de Rick Davies, et Even in the quietest moments (Hodgson), la chanson, sont eux aussi de fort belles oeuvres qui ajoutent à la légende du groupe, en proposant des constructions très ouvragées.

Je rappelle que Supertramp à cette époque ne proposait que des chansons créditées Hodgson / Davies, mais que chacune d'entre elles était chantée en priorité par son compositeur effectif; et comme de juste, From Now On (avec un superbe solo de Fender Bass VI) et Even in the quietest moments (Avec de très beaux passages à la clarinette, et un accompagnement qui nous fait entendre Thomson à la contrebasse, pour changer) sont très représentatifs des thèmes de l'un et de l'autre: le terrien Davies et le mystique Hodgson, avaient compris l'intérêt d'opposer leurs chansons et leurs univers, en faisant se succéder leurs chansons. Sauf que... Ici, justement, on a une ordonnance parfaite, et un brin routinière, Hodgson, Davies, Hodgson, Davies, Hodgson, Davies, Hodgson. Un chanteur qui se sait identifié à tout jamais au groupe et qui pousse son avantage depuis Crisis what crisis? en ouvrant et en fermant le bal à chaque fois (et en composant les deux singles de l'album), et un pianiste qui ronge son frein, avant d'ouvrir sérieusement les hostilités sur l'album suivant (Mais on verra ça en temps et en heure) en parlant directement de Roger Hodgson et de sa vampirisation du groupe!

Dans ces conditions, on devine que l'enregistrement du mille-feuilles n'a pas été de tout repos, pas plus que ne l'avait été Crisis what Crisis? du reste. Mais si l'album a tout pour passer pour être un album de Supertramp, il est marqué par des chansons soignées, certes, mais sans génie.

Non qu'elles soient indignes, c'est juste... Que Lover boy, nouvelle variation de Rick Davies sur l' auto-flagellation ironique, est aussi une énième version du Rhythm 'n Blues façon Davies, qui était tellement plus inspiré sur Another man's woman; que Babaji (Hodgson) et ses incantations mystiques déçoivent et irritent; que Downstream, solo de Davies au piano, est certes joli, mais pas beaucoup plus; et que le grand oeuvre composé par Hodgson de ce LP, Fool's overture, joue avec la tension et le suspense au point de trop délayer l'intérêt, et parfois d'ennuyer: peut mieux faire, vous dis-je!

Après, on peut toujours noyer le poisson en amenant un piano sur une montagne. Pour de vrai, et pour la photo de pochette. Et pourquoi pas figurer New York avec des objets de cuisine, tant qu'on y est?

...Oui, c'est vrai, pourquoi pas?

 

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