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Spiral

De musique avant toute chose

Brian Wilson At my piano (Decca, 2021)

Les Beach Boys sont un groupe vocal. C'est entendu... Mais on sait aussi, ou alors c'est qu'on n'a pas eu la curiosité nécessaire et indispensable, que derrière ce groupe vocal actif depuis 1961, il est un nom incontournable, celui de Brian Wilson, compositeur et producteur. Il me semble utile de rappeler que ce mot ne désigne pas un monsieur avec chapeau haut de forme et gros cigare, mais bien un artiste dont la tâche est de transformer une esquisse musicale en un produit phonographique, en passant par les stades suivants: arrangement, ingénieurie sonore, post-production, mixage. Oui, ça fait beaucoup, mais certains producteurs sont avant tout des arrangeurs et chefs d'orchestre. George Martin, Quincy Jones, Phil Spector... et Brian Wilson.

Il travaillait dans les années 60 avec des musiciens, qui étaient assemblés dans le studio et d'une certaine manière devaient transcrire dans l'instant la "vision" du maître. Carol, et si tu prenais la note dans un registre plus aigu? Hal, deux coups de tom basse avant la reprise...  je peux réentendre l'ensemble des cors? Vous ne trouvez pas qu'il en manque un?

Bref, en dépit d'une surdité précoce (il avait perdu 90% de son ouïe dans l'une de ses deux oreilles), Wilson entendait dans sa tête un échafaudage sonore qu'il s'appliquait à reproduire en vrai avec des musiciens rompus à ses excentricités, et ses demandes. Et comme ses chansons étaient belles, mélodiques, novatrices en tout (harmonies, utilisation d'accords savants, utilisation de sons jamais usités dans le monde du rock ou de la pop, et un rapport entre ensemble instrumental et ensembles vocaux équilibré à l'extrême), le résultat est devenu mémorable: écoutez le chef d'oeuvre Pet sounds, ou n'importe quel autre album des années 60, pour vous en convaincre...

Du coup, on en viendrait à se demander comment un artiste habitué très tôt à transcrire ses arrangements les plus fous et les plus riches, qui plus est dans un contexte vocal, pourrait bien se contenter de reprendre 15 morceaux qu'il a composés (entre 1963 avec In my room, et 1988 avec Love and mercy extrait de son premier album solo), avec pour seul instrument un piano. Qui plus est, en ajoutant que si Brian Wilson a tojours joué du piano, il n'en a jamais été un virtuose. ce n'est pas un pianiste, juste un compositeur habitué à utiliser le piano pour essayer, prendre des notes, envisager ses chansons en cours de route. Certes, il en joue sur scène, mais n'est-ce pas pour participer d'une part (sa voix est de moins en moins fiable, ou audible), et lui donner quelque chose à faire, car comme tous les timides se trouver seul sur scène, les bras ballants n'a jamais été son forte...

Et c'est là que le disque nous surprend. On s'attendait à un survol mou et pas foncièrement désagréable de 15 chansons, évidemment parfaitement choisies, mais rien de mémorable... Et pourtant à plusieurs reprises, la magie opère.

Sans surprise, cette magie se manifeste sur les chansons les plus intimes, les oeuvres majeures: God Only Knows en ouverture inévitable, est beau à pleurer qu'il soit interprété par la "voix d'ange" (Brian dixit) de Carl Wilson accompagné par ses acolytes sur Pet sounds, ou ici uniquement interprété par le maître à son piano... La chanson est intacte, intègre... The Warmth of the sun, l'un des grands thèmes qui ont montré dès 1964 qu'il y avait vraiment beaucoup à attendre de ce groupe faussement futile, est ici joué à l'évidence. Les extraits de Smile, généreux et qui font l'objet d'un petit medley, ou encore le profondément spirituel 'Til I die, ou encore I just wasn't made for these times et You still believe in me, tous les deux extraits de Pet sounds, et même Wouldn't it be nice qui ouvrait ce merveilleux album en 1966, sonnent ici comme si on pouvait d'un seul coup de baguette magique, reconstituer le puzzle vocal et orchestral, tant et si bien qu'on n'aurait même pas besoin de sa concrétisation...

C'est sans doute parce que le piano est l'instrument par lequel Wilson (qui est doté en prime de sa surdité et de sa timidité, d'un certain nombre de défauts d'exécution du langage, bégaiement, zézaiement, sans parler d'une petite paralysie faciale qui n'a jamais facilité la communication) s'exprime le mieux... Le vecteur par lequel il a toujours fait passer ses esquisses, par défaut. Et ici, il bénéficie de ce que lui (et un certain nombre de fanatiques, je le sais car j'en suis) connaît si bien: les versions publiées de ses chansons, auxquelles il se réfère en permanence: ni réarrangement, ni improvisation... Juste une célébration de ce que sont les chansons de Brian Wilson, telles qu'elles ont été cristallisées par l'enegistrement, telles que le temps les a préservées et installées dans l'inconscient collectif de ceux qui ont passionnément aimé cet univers musical d'une richesse absolue.

Alors tant pis si parfois ces 48 minutes polies et très sages (impeccablement enregistrées au demeurant, avec ce qu'il faut de réverbération pour sonner comme l'expérience intime qu'est cet album), sonnent parfois comme une illlustration timide: Don't worry baby ou California girls n'ont rien à gagner ici... Brian Wilson a d'ailleurs lui-même semblé se prêter à l'expérience d'une façon distraite, pas forcément convaincu de l'utilité de la chose. Dans sa carrière longue et remplie d'albums réussis ou ratés, cet album ne peut être qu'une anecdote.

Mais comme d'habitude, laissons nous charmer par le récital dans sa globalité. Aucun album de musique, aucune oeuvre musicale, n'ont vocation à être parfaits. Et de la diversité naît parfois une telle poésie... Une poésie qui est ici l'expression de l'âme de Brian Wilson, si ce mot veut dire quelque chose.

En anglais ("soul") ça a toujours été le cas...

Ah, et sinon, cet album fait chanter (à condition de connaître les originaux), je préfère vous en prévenir. Donc ne l'écoutez pas en famille... 

 

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