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Spiral

De musique avant toute chose

Pete Dello and friends Into your ears (1971, Nepentha)

Un chanteur d'une timidité embarrassante, une notoriété absente, un label obscur, peu ou pas de promotion... Voilà toutes les raisons qui font de ce disque superbe et rare une vraie pépite confidentielle. Mais si éventuellement la voix vous rappelle vaguement quelque chose... c'est que vous avez entendu le groupe The Honeybus.

Un rappel historique s'impose donc: Honeybus, apparu en 1967, est un collectif Londonien avant d'être un groupe, plusieurs musiciens rassemblés autour de Pete Dello, auteur-compositeur, chanteur et guitariste (Pianiste également à ses heures), et de Ray Cane, multi-instrumentiste et arrangeur. Après un single (Delighted to see you), ils ont fini par devenir un groupe, visant à jouer sur scène: ils sont alors complétés par le guitariste Colin Hare et le batteur Pete Kircher. Le style de Honeybus, qui peut être parfois assez rentre-dedans sur ses faces B, est surtout connu pour des ballades dans lesquels le groupe de rock à la formation instrumentale "classique", soit guitares-basse-batteur, est complété par des arrangements baroques, imaginés et conduits par Dello et Cane. Mais après le succès impressionnant de leur troisième single I can't let Maggie go, Dello prend peur, se rend compte qu'il va lui falloir faire le tour des télévisions et des radios, et... quitte son groupe.

Il y reviendra en 1972, pour deux ans, mais c'est une autre histoire...

En attendant, sa position est paradoxale: le fait de quitter son groupe n'a en rien été motivé par une volonté de cesser d'être musicien, et le chanteur s'est même acharné dès 1969 à tenter de placer sur le marché des singles, sous plusieurs appellations. On soupçonne de plus certains de ces groupes de circonstances d'avoir été des versions d'Honeybus en contrebande! Au moment de partir de son groupe, Dello avait d'ailleurs un répertoire conséquent, qui va nourrir ses projets solo... Dont cet album, enregistré en fin 1970, avec des musiciens pas forcément identifiés, mais on sait que Colin Hare et Ray Cane (libérés de Honeybus qui s'était finalement sabordé en fin 69) en ont tous deux fait partie...!

La pochette, génialement située entre conte enfantin et réalisme graphique adulte, est totalement appropriée pour aborder l'étrange musique, un folk-rock précieux et baroque, dont les sujets sont très noirs: divorce ou fin d'un couple, insécurité psychologique, fuite en avant d'un homme qui n'a plus rien à perdre... l'enveloppe se veut douce et séduisante, mais la voix calme et posée de Dello, avec cet étrange voile qui le caractérise, ne nous rassure pas forcément. Il est parfois accompagné du timbre plus rassurant de Ray Cane.

It's what you've got: Belle entrée en matière, en douceur... Le refrain est accompagné de choeurs "à la Honeybus", et les passages orchestraux font une apparition tardive après l'accompagnement, essentiellement une guitare acoustique et une rythmique. Quand les cuivres se font entendre, une guitare électrique se glisse dans le tas... puis c'est la fin, toute en légèreté.

There's nothing that I can do for you: là encore, la guitare acoustique domine, mais cette chanson est une ballade cruelle: "si vous avez des ennuis de santé, si vous n'allez pas bien... si vous en avez marre d'écouter ce que je chante, il n'y a rien que je puisse faire pour vous!" ...Cruelle, mais drôle et lucide, et une fois de plus parfaitement emballée: les cuivres, les choeurs dans lesquels on retrouve le son Honeybus, tout est parfait.

I'm a gambler est une chanson importante pour Dello. Honeybus en préparait une version en 1968, et on pense que ça aurait du être le quatrième single du groupe, après Delighted to see you, Do I figure in your life et I can't let Maggie go. Un single est sorti en 1969 (La version de Honeybus?) sous le nom de Magenta, et il y aura d'autres versions... La version ici présente est à la fois sautillante avec son empreinte folk (Guitare, percussions) et marquée par de très beaux choeurs, et par un arrangement une fois de plus très luxueux: les cordes en sont particulièrement baroques.

Un passage au piano commence Harry the earwig. La voix de Dello nous raconte ces histoires d'insectes qui souffrent de migraines... Le piano domine, mais très vite se double d'une rythmique appuyée, et est accompagné de bois. Pas de choeurs cette fois-ci... 

Retour à Honeybus avec une très belle version de Do I still figure in your life. Elle repose sur le même arrangement que l'original, mais les cordes sont mixées en retrait, et le son de la rythmique (la basse en particulier: Ray Cane, sans doute). Les choeurs sont arrangés là encore de la même façon que sur la version de 1968. Les passages de violoncelles et violons prennent plus de place sur la fin... cette chanson raconte le malaise d'un homme qui se sent pris au piège d'une relation en cours de déconfiture, et est basée sur les souvenirs cuisants d'un divorce.

Uptight Basil: retour à la légèreté, voire la loufoquerie, avec cette histoire de personnage renfermé sur lui même. Un autoportrait? Quoiqu'il en soit, Dello convoque les deux instruments "classiques" du folk, la guitare acoustique et la contrebasse, avant de lâcher des choeurs trafiques et inattendus. L'une des chansons qui tend à donner l'illusion d'un disque pour enfants, afin de compléter la pochette... mais ça reste quand même le conte cruel de quelqu'un qui est poussé à se mettre en avant alors qu'il ne le souhaite pas, et c'est marqué par le génie sonore des paroles: Uptight Basil, you realy razzle dazzle, but before you blow your head, don't forget to make the bed...

Taking the heart out of love: on entre dans le vif cruel du sujet, avec pour commencer un simple arpège de guitare, rejoint dans la fin du couplet par basse et batterie, et un ensemble de cordes. Le refrain, avec la voix doublée de Dello complétée par le canon de Ray Cane, met les choses au point: "taking heart out of love", soit "enlever le sel d'une relation. On y revient toujours, semble-t-il... Mais la chanson est la fois simple et directe, et définitive... Celle-ci a aussi fait l'objet d'un single en 1969. On notera de quelle façon les cordes prennent le pouvoir sur la fin, un truc fréquent dans les constructions de Dello...

On a time said Sylvie: en apparence légère, cette petite chanson est encore sur l'inefficacité personnelle de l'amant... La chanson est courte, mais bien menée, avec une figure répétitive au piano qui montre assez bien le style "économique" de Dello à cet instrument.

A good song est du vécu. "If you want to write a good song, make sure that the tune is very strong"... Si vous voulez écrire une bonne chanson, assurez-vous que l'air est très bon! Puis le parcours de l'auteur-compositeur jusqu'à son disque, puis l'espérance de succès (mis le ton ne nous engage pas à y croire) nous est détaillé avec un ton sardonique... Dello savait de quoi il parlait, mais il n'était pas non plus du genre à s'en plaindre...

It's the way (La chanson préférée de son auteur) repose sur une accumulation, et un effet: Dello énumère tout ce qui n'est pas vraiment important chez une femme à laquelle il parle, puis les choeurs disent, eux, ce qui fait son charme. Pas vraiment sexiste, ici, pas la moindre trace de méchanceté. UNe chanson simple qui ne cherche pas à être autre chose que ce qu'on entend: "It's the way you say cheerio in the morning". L'accompagnement est une fois de plus basé sur l'accumulation savante et progressive...

Go away: "If you want to go away... who am I to stay in your way?": Ok, tu veux partir, pars. ON ne peut être plus clair... Mais comme le dit à la fin de chaque couplet Dello: il n'y a rien que je puisse faire, si ce n'est partir. Donc, à nouveau une chanson de rupture en douceur et en tristesse... Basée sr une guitare acoustique, les cordes et les harmonies vocales Dello-Cane.

Arise sir Henry renvoie une fois de plus au côté baroque et faussement moyen-âgeux que Dello aime à mobiliser... C'est une chanson de Noël, plus ou moins, sur la mésaventure d'un homme qui va devoir émerger de son pudding, afin de voir le vaste monde. Certes, ce n'est pas sérieux, mais ça sied tellement bien à la personnalité de Dello, et à la lucidité sur sa propre condition de combattant battu d'avance! La version ici présente est riche, sans doute la plus luxueuse de tout l'album, que Dello souhaitait finir sur une note grandiose. C'est réussi.

Au final? un disque pour île déserte, comme tout ce qui provient de près ou de loin de la planète Honeybus. Dello est un génie, sa voix étrange n'est un handicap que le temps de s'y faire, et la réussite confondante de ces douze chansons m'amène cette réflexion: je donnerais volontiers tout Syd Barrett pour une chanson inédite de Dello.

 

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