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Spiral

De musique avant toute chose

Radiohead Pablo honey (Parlophone 1993)

Ce qui frappe dès le départ, et on ne voit pas comment y échapper, ce sont les guitares... Un arpège qui prend très vite toute la place, mais doublé, puis accompagné de traits furieux et sans appel...

On en oublierait presque d'écouter la chanson et la voix si caractéristique de Thom Yorke, tellement ces guitares viennent d'ailleurs. Surtout qu'en 1993, la musique "Grunge" venait à peine de remettre (enfin!) l'instrument sur le devant de la scène... You est une chanson furibarde, dans laquelle la rythmique frappe fort mais juste, Thom Yorke chante sans se limiter, et la ligne d'attaque faite non pas d'un, non pas de deux, mais de trois guitaristes, qui vont tous les trois passer leur carrière entière à s'accommoder de façon inattendue de la présence des deux autres! You, ce ne sera pas la dernière chanson sur ce mode, fait semblant de parler d'un autre pour finir en autoportrait malaisé. Tout le sujet de Pablo honey, en fait...

Et puis cette chanson en invite une autre, Creep: en apparence plus classique, elle commence en ballade avec les arpèges de Ed O'Brien, parfois accompagnés de ceux de Thom Yorke, qui chante, pendant que la rythmique imperturbable accompagne. Le refrain célèbre (I'm a creep... I'm a weirdo", encore une chanson d'amour tordue en forme d'auto-rejet) s'accompagne d'une embardée hallucinante de la Telecaster de Jonny Greenwood, qui emmène sans effort apparent la chanson vers les hautes sphères. On entendra, dans le troisième et dernier couplet apaisé, un piano qui semble calmer le jeu. Plus sûrement, cette dernière intervention de Jonny Greenwood sert à remettre les choses à leur place: il se dégage de ces accords de piano, qui ne cherchent pas à faire joli, une mélancolie profonde. 

Tout l'album repose dans ce paradoxe: une sorte de furie sous-jacente permanente, comme trahissant l'inconfort d'avoir un guitariste de trop, et un rôle à réinventer pour l'instrument, et une thématique marquée elle aussi par l'inconfort de soi. Mais à aucun moment les guitares ne seront héroïques, pas même dans Stop whispering, le morceau taillé sur mesure, à la demande du label, pour sonner comme U2. Non, du mille-feuilles de guitares, il se dégage surtout une certaine agression due une fois de plus à l'impression de surnombre!

C'est que le groupe, quand il s'appelait encore On a sunday, était un quatuor, avec Thom Yorke en porte-étendard / chanteur, et Ed O'Brien en porte-flingue / guitariste soliste, complétés par Colin Greenwood en bassiste laconique, et Phil Selway, à la batterie puissante mais pas forcément révolutionnaire. Et ce qui a sans doute sauvé le groupe de l'oubli, c'est l'arrivée du jeune frère de Colin, entre deux engagements: Jonny Greenwood, tête pensante de la guitare, n'est ni un guitariste rythmique, ni un guitariste soliste, mais... Jonny Greenwood. un bruiteur de génie, un surdoué de l'accord qui fait mouche, un spécialiste de l'invention de formes guitaristiques...

N'allez pas croire qu'il mène le groupe, ou qu'il en est le seul joyau, non: dans cet album dont les chansons sont, disons, fonctionnelles plus qu'inspirées, le groupe est habité par sa nouveauté, par le fait d'avoir ce paradoxe de trop de guitaristes, et la richesse harmonique qui s'ensuit... Les chansons, aussi basiques et mal dégrossies soient-elles, ont au moins la capacité à étonner par les montagnes russes émotionnelles qu'elles créent entre la voix extraordinaire de Yorke, et les tissus de cordes qui les accompagne.

Et on se prend à rêver, avec Pablo honey, d'une série de douze chansons interprétées par le même groupe, mais cette fois-ci aussi soignées dans leur écriture...

...Ce disque existe bien sûr, il s'appelle The bends, et c'est une merveille, la dernière fréquentation par Radiohead d'un rock 'n roll qu'ils ont commencé à dynamiter de façon imprévue, pas intentionnellement, avec ce premier album extrêmement mal fichu, mais qui porte suffisamment de promesses en lui pour qu'on s'y attarde.

 

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