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Spiral

De musique avant toute chose

Caravan If I could do it all over again, I'd do it all over you (Decca, 1970)

Sous ce merveilleux titre, se cache le second album du groupe Caravan, dans sa première incarnation: Dave Sinclair à l'orgue, Richard Coughlan à la batterie, Richard Sinclair à la basse et Pye Hastings à la guitare. Un second album motivé par une nécessité: le label qui les avait accueilli pour leur premier effort ayant fermé ses portes, il leur fallait refaire tout le travail qui consiste à se faire connaître, non seulement sur scène (pour ça, ils étaient tranquilles, ils étaient acclamés dans tous les festivals qui les programmaient), mais aussi et surtout sur disque, puisque Caravan (1968) n'était quasiment plus disponible et que sa promotion avait été tuée dans l'oeuf... 

Les membres du groupe, bien qu'ils aient été attirés à Decca par David Hitchcock, un jeune enthousiaste qui rêvait de les produire, ont choisi de tout faire seuls, et de dérouler en studio un certain nombre de leurs chansons: l'album a été enregistré quasiment live... Un choix dicté par l'envie de faire bien, et vite. près tout, le groupe connaissait bien son répertoire. On ne s'étonnera donc pas d'un son parfois assez sauvage, et d'un ton général qui est à l'amusement. Par exemple, si le premier album faisait surtout entendre les prouesses de David Sinclair, principal voire uniques soliste, et son interaction permanente avec la batterie inventive de Richard Coughlan, cet album nous permet d'entendre un groupe uni vers un même objectif à chaque chanson: une remarquable cohésion d'ensemble, et un équilibre constamment renouvelé entre la chanson à jouer (ou LES chansons, car ils ont commencé à expérimenter avec des structures qui mêlaient les airs que chacun apportait, avec ce deuxième album) et les audaces formelles (Digressions, changements de rythme, breaks ou passage brutal et sans retour à autre chose, selon les cas)... 

Ca commence par une comptine joyeusement idiote que n'aurait pas refusé Kevin Ayers, ni ses copains de Soft Machine à leurs débuts (avant qu'ils ne se mettent au jazz poilu): sous le titre de If I could do it all over again, I'd do it all over you, c'est trois minutes d'excentricité sous contrôle. 

Puis And I wish I were stoned/Don't worry propose huit minutes d'exploration planante mais ultra mélodique, qui montre de quelle façon Richard Sinclair pose les fondations sur lesquelles les autres vont oeuvrer, et de quelle manière Pye Hastings réussit en quelques arpèges à donner une direction à la chanson globale. Après ça, le travail de repousser les limites du raisonnable revient souvent à Dave Sinclair et Richard Coughlan: une chanson (ou deux) exemplaire du 'style' Caravan, donc. Notons toutefois, que Pye Hastings y interprète un solo de guitare, ce qui est nouveau...

As I feel I die monte encore d'un cran, avec son exploration d'un climat planant, mais qui ne dévie jamais vers un abandon de la chanson. L'orgue y est fantastique, mais c'est la guitare qui installe l'ambiance au départ, avec des arpèges que je qualifierais volontiers de liquides... Coughlan propulse le groupe vers un tempo plus agressif, mais la chanson reste constamment les pieds sur terre.

La première face se termine avec une longue suite, en cinq mouvements: With an ear to the ground / You can make it / Martinian / Only Cox / Reprise. Neuf minutes d'explorations, de changements d'ambiances (Sinclair y utilise ce qui sonne bien comme un clavecin à mes oreilles) et d'enchantements. "Only Cox" est-il une allusion à leur expérience malheureuse avec le label de Tony Cox?

Hello hello est sorti en single, et commence avec un rythme latin inattendu, qui installe, en collaboration avec la guitare une tension inattendue. La basse de Richard Sinclair est particulièrement mise en valeur, mais comme souvent c'est son cousin David qui se taille la part du lion.

Asforteri 25 propose un jeu de canon sur les voix, et l'ambiance y varie avec sagesse: c'est un morceau très court... Contrairement au suivant:

Can't be long now / Françoise / For Richard / Warlock est le morceau de bravoure (Généralement appelé "For richard" tout court) de l'album. Elle est l'occasion de retrouver le frère de Pye, Jimmy Hastings, aux saxophones et à la flûte... L'introduction (qui nous fait entendre la flûte) est aussi l'occasion pour Richard Sinclair de livrer un rare solo de basse. Puis c'est au tour de David de lancer le groupe dans une nouvelle direction à l'orgue. La rythmique du groupe apparaît d'une grande cohésion derrière lui, avant que "Brother James" Hastings ne revienne, cette fois au saxophone ténor, pour une excellente contribution énergique (et doublée, incidemment). Une nouvelle transition est effectuée à l'orgue, avant que la flûte ne revienne, puis alterne avec des passages splendides à la basse, puis... au ténor, encore! Pourtant à aucun moment, le groupe ne cède à la tentation d'un jazz en totale liberté, ou même d'enquiller solo après solo sans aucun but. La musique qu'on entend obéit à une structure très clairement définie. Sur la fin, Dave Sinclair lance le groupe dans une dernière direction avant de prendre la direction des opérations... Ce sera seulement à la toute fin que Pye Hastings se lance... dans un solo en toute liberté. Mais ça ne dure que vingt secondes...

La fin de l'album est occupée par une autre petite balade rêveuse de moins de deux minutes, Limits. Jimmy Hastings s'y fait de nouveau entendre, sur un rythme vaguement inspiré de musique latine: une coda appropriée pour un album enchanteur, mais d'une grande, d'une excessive politesse. Caravan est un groupe de gentlemen, jusqu'au bout de l'album on a l'impression que ces musiciens ont signé un pacte de non-agression, préférant mettre en place leurs morceaux de façon cérébrale, et fuyant les démonstrations de virtuosité comme la peste: mais soutenus par une telle rythmique, ils auraient pu tout se permettre... 

Bref, l'album établit le style de Caravan , qui repose sur deux termes qu'on utilise facilement en Anglais: le groove, et la soul. Deux jolis mots, que je ne vais même pas essayer de traduire. Pas besoin. Et la prochaine étape de Caravan est un chef d'oeuvre, cette fois enregistré avec toutes les fonctionnalités d'un studio, le magnifique In the land of grey and pink.

 

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