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Spiral

De musique avant toute chose

Welcome to The Beautiful South (Go!discs, 1989)

Paul Heaton, chanteur des Housemartins, avait de lui-même précipité la fin de son impeccable groupe de soul-rock-pop, sous forte influence des Smiths, qui avait en deux albums récolté un joli succès. Le chanteur, désireux d'étendre le champ des possibilités de ses chansons, avait pris la décision de se lancer dans un projet différent...

Bienvenue, donc, dans le premier album d'un groupe assez méconnu en France, mais dont les Britanniques ont bien senti passer l'influence durant près de vingt années d'existence... Un groupe dont le personnel, dix albums durant, s'est maintenu, à un détail (non négligeable) près: même batteur, même bassiste, même guitariste, mêmes chanteurs, mais trois chanteuses au fil des années; chanteurs avec un S, car le projet de Paul Heaton était de créer un groupe qui pourrait user de la variété de ses vocalistes pour créer un éventail de points de vue, ainsi que plusieurs possibilités de combinaisons sonores. Mais si Heaton, parolier immuable durant ces vingt années (et patron incontesté et assumé du groupe) est le leader, les deux autres (Dave Hemingway et pour cet album et les deux suivants, Briana Corrigan) ne sont pas pour autant ses choristes, et apparaissent au fur et à mesure des besoins. Le premier morceau, qui est également le premier single du groupe, est par exemple chanté par Hemingway, avec des passages pour lesquels Heaton le relaie. Mais parfois l'un des trois sera seul...

De leur côté, Dave Rotharay (Guitare), Sean Welch (Basse) et David Stead (Batterie) pratiquent une pop fortement teintée de soul, qui ne variera jamais si ce n'est pour dévier occasionnellement vers le funk, la country ou d'autres univers musicaux, là encore en fonction des besoins... Des besoins qui seront toujours liés à la volonté de Paul Heaton: celui-ci a toujours assumé le fait que The beautiful South est sa chose. En plus de ces trois musiciens, et de ces trois chanteurs, le groupe se complète d'un pianiste, Pete Wingfield, un vétéran qu'on a déjà vu dans les années 70 avec les Hollies, et qui travaillera avec le gotha des musiciens Anglais. Durant toute la carrière le groupe maintiendra cette politique de travailler avec des musiciens extérieurs: un pianiste, et une section de cuivres et d'anches.

Le nom du groupe, déjà: natif de Hull, dans le Nord-Est très prolétaire, Heaton a toujours eu une certaine méfiance de classe à l'égard du Sud plus riche... Ce qui s'est même parfois fait ressentir dans les concerts, par des remarques cinglantes à l'égard du public. Ce qui fait partie du numéro, et le fera jusqu'à la fin du groupe en 2007... Car si un adjectif convient parfaitement à Heaton et ses chansons, c'est l'adjectif "Acide"... Une tendance qui se retrouve dans les chansons, et qui est immédiatement détectable sur la première d'entre elles, Song for whoever. Hemingway y chante semble-t-il pour une femme, qu'il remercie de son apport... Avant qu'on se rend compte que la belle mélodie de parfait tube de l'été est en fait dédiée à toutes les femmes qui ont inspiré un parolier pour ses chansons d'amour. "Thank you for the PRS cheques that you bring": merci des chèques de droits d'auteur que j'ai touchés grâce à vous, l'anglais ici profite de la confusion née de la similarité entre deuxième personne du singulier et deuxième personne du pluriel...

L'album, le premier, n'est pas parfait et semble encore privilégier les deux chanteurs, mais Briana Corrigan (dont le filet de voix est assez spectaculaire) rendra sa vengeance sur les deux opus suivants. Les chansons sont à leur meilleur quand le groupe est soudé, derrière un projet clair: c'est bien sûr le cas de Song for Whoever, de Have you ever been away (consacré aux mauvaises manières des Britanniques à l'étranger), qui se déguise en chanson latine pour danser, de From under the covers et son rythme soutenu très Soul 80s, qui renvoie aux fabuleux Housemartins. I'll sail this ship alone (sur un amant désastreux qui tente de garder la tête haute devant l'abandon de sa petite amie) est une magnifique ballade soul, qui sera pourtant refaite en encore plus délicat sur un single.

La reprise de Girlfriend, un peu boueuse (on a le sentiment qu'il a été enregistré live en studio), ne s'imposait pas, mais il est suivi par l'intéressant Straight in at 37, un morceau au tempo assez rapide, dans lequel Heaton s'attaque à la facilité de la pop et aux usages en vigueur dans une industrie musicale, disponible uniquement sur le CD, mais c'était à l'origine une face B. You keep it all in, également un single, est un incontournable du groupe, qui sera au programme de quasiment tous les concerts pendant vingt ans: les trois chanteurs s'y font entendre à tour de rôle, sur un backing track absolument impeccable. Mais les paroles... Heaton s'y prend à l'absence de communication en couple, et la douceur soul de la chanson fait merveille à en souligner la méchanceté. Ajoutons des cuivres (surtout des trombones) et une flûte, plus les choeurs: c'est une merveille! Autre morceau classique et cause célèbre, Woman in the wall semble inspiré de la mode pour la musique Sud-Africaine lancée par Johnny Clegg et Paul Simon. Elle parle du cas d'un homme qui entend (c'est Hemingway sur le couplet et Heaton sur le refrain) les cris d'une femme de l'autre côté du mur, qui a été assassinée et emmurée. Ou quand la pop la plus claire et la plus solaire rime tout à coup avec "When the rotting flesh began to stink"...

On retrouve le parfum de feu les Housemartins avec Oh Blackpool, et se moque des Libéraux-Démocrates, les centristes Britanniques, raillés pour leur position 'au milieu'. Heaton, auto-proclamé socialiste, a lui toujours choisi son camp: à gauche toute. Love is... est une ballade déprimante, une de plus, mais impeccable, avec toute la panoplie: des cuivres, et même une harpe... Paul Heaton y chante volontairement de manière agressive sur le fait qu'une personne, y compris le chanteur d'un groupe célèbre comme Heaton, n'est que de passage... Ca se termine en feu d'artifices, et même avec un moment repris sans équivoque des Beatles... Enfin I love you (but you're boring) est une de ces ballades déconstruites qui se retrouveront aussi sur le deuxième album, avec un accompagnement réduit à la guitare acoustique. Un exercice vaguement désagréable, dans lequel une fois de plus l'amour se retrouve pris sérieusement en défaut. C'est aussi le début d'un diptyque, qui se conclura dans le deuxième album (Choke) sur I hate you (but you're interesting)...

Bienvenue, donc dans un premier album réussi presque sur toute sa durée, qui installe clairement un style de soul "ligne claire", sans second degré apparent, qui restera quasiment immuable, et réussira malgré tout à maintenir l'intérêt pour un groupe très particulier, en effet. Il n'empêche, si l'acidité et le cynisme de Heaton sont particulièrement forts, il n'en reste pas moins que la formule qui est la sienne (le sucre musical pour l'amertume des textes) est aussi une promesse d'exigence, qui ne sera que très rarement démentie. Il inaugure aussi une longue histoire de flirt curieux avec le public et les bonnes moeurs, notamment avec cette pochette particulièrement noire, qui sera ensuite censurée avec une nouvelle version due à Heaton lui-même: les deux versions sont illustrées ici.

 

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