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Spiral

De musique avant toute chose

The Beach Boys Today! (Capitol, 1965)

Peu de temps avant l'enregistrement de cet album, Brian Wilson a eu une crise de panique dans un avion, dont la conséquence a été son retrait de la scène. Le sien, pas celui des Beach Boys, ce qui peut paraître hallucinant... Le groupe s'est donc littéralement séparé en deux entités presque distinctes: Brian à Los Angeles, qui composait et enregistrait dans l'environnement (pour l'instant) sûr du studio, avec une nette préférence pour les studios Gold Star et United Western, pendant que Mike Love, Carl Wilson, Al Jardine et Dennis Wilson, accompagnés de Glen Campbell puis Bruce Johnston pour remplacer Brian, voyageaient et jouaient sur les scènes du monde entier...

Une situation qui paraît intenable, aussi bien pour le groupe que le public, mais qui a tenu pourtant jusqu'aux années 70... Et qui a permis à Brian Wilson de prendre son temps, et de parfaire ses techniques en studio: il privilégiait l'enregistrement live de parties musicales (avec ou sans le groupe, devenu essentiellement un ensemble vocal pour lui), si possible interprétées avec le plus de musiciens de studio possible, versatiles et doués, capables d'interpréter au pied levé les partitions du jeune prodige, pas forcément doué pour transcrire sur papier ses désirs et les paysages sonores qu'il envisageait. Des noms? Carol Kaye (Basse), Hal Blaine (Batterie), Plas "Pink Panther" Johnson (Sax ténor), ou même l'immense Barney Kessel (Guitares)... et d'autres, plein d'autres, vont désormais et jusqu'à 1967 participer à des dizaines de sessions pour Brian Wilson.

Et celui-ci a justement un plan, après les huit albums sortis entre 1962 et 1964, il souhaite sortir le son des Beach Boys de ses traditions prévisibles, et envisage de ne négliger aucune possibilité instrumentale, aucune combinaison, tout en cherchant à rendre la musique du groupe plus ambitieuse encore que ses efforts passés. Il décide aussi de s'attaquer à des thèmes plus adultes dans les paroles, et sera cette fois-ci le principal parolier de son nouvel album...

Celui-ci est divisé en deux parties: la première face est occupée par des morceaux dans la tradition des Beach Boys, même si l'interprétation en est sérieusement différente, par les ambitions affichées: Do you wanna dance (Reprise de Bobby Freeman) ouvre le bal, chanté par Dennis, accompagné d'un "mur du son" à la Phil Spector, mais dans lequel Wilson a remplacé le tartinage des instruments par une belle disposition des choeurs. Good to my baby, chanté par Brian avec Mike Love, est arrangée avec une rythmique impressionnante de versatilité. Hal Blaine est passé par là, et les guitares ne sont pas en reste. Don't hurt my little sister, avec ses paroles de grand frère (chanté par Mike Love, sans le moindre second degré, comme d'habitude), nous fait entendre la complexité des nouvelles ambitions de Brian, sur un mode mineur: la chanson ne paierait pas de mine sans ses choeurs très élaborés. C'est Brian Wilson qui mène les ponts et les refrains. Avec When I grow up (to be a man), Wilson (même si c'est Mike Love qui chante) se rapproche de ce qui va venir en face B, tout en s'amusant un peu: il s'interroge sur son futur, dans une chanson menée par un clavecin. Un instrument qui reviendra certes à la mode, mais deux ou trois années plus tard. La première version de Help me Rhonda (Chantée par Al Jardine) est l'une des deux chansons les plus simples de l'album, mais elle me parait (si ce n'était un étrange passage avec des variations incongrues de niveau sonore) meilleure que l'autre version sortie en single, dans laquelle des effets vocaux viennent tout gâcher... Dance dance dance (Co-écrite avec Carl Wilson) est une excellente façon de finir cette première partie, et est chantée par Mike Love. Les guitares sont à la fête, et il est confirmé que ce ne sont ni Al Jardine ni Carl Wilson, pas plus que les autres Beach Boys, qui interprètent l'excellent backing track, ici, dans lequel Brian a réussi à placer des castagnettes... Et une modulation risquée à 1:18.

...Et la face B arrive, celle qui a engendré un désastreux bouche à oreille qui a fait que l'album n'a pas marché... Mais pourquoi? Brian Wilson chante les quatre premières chansons: Please let me wonder est une ballade, sur un ensemble d'une grande précision. C'est le début d'une série de chansons introspectives dans lesquelles Brian Wilson s'échappe complètement du canon adolescent qui a fait sa gloire. Les choeurs sont d'une grande beauté... Brian les utilise pour créer un dialogue avec sa propre voix, et nous avons droit à un grand passage, entre l'orgue et une guitare. Pour info, le Beach Boy qui profite d'un blanc pour murmurer I love you, est Carl, à son plus langoureux... I'm so young est une expression du regret d'un ado: trop jeune pour se marier... Des paroles à prendre au quarante-septième degré, sans doute, sous la forme d'une ballade avec un grand nombre d'accords. C'est impeccable. Kiss me baby est l'un des très grands moments du disque, avec sa construction structurée avec soin, depuis l'introduction vocale, puis l'arrivée progressive des musiciens, la présence d'un ensemble de saxophones, et même d'un cor d'harmonie (un instrument qui fascinera Brian sur l'enregistrement de Smile quelques années plus tard). le refrain, avec ses choeurs dominés par la voix de basse de Mike Love, sont superbes. Une fois de plus, c'est Brian qui domine, au cas où l'on n'aurait pas compris que c'était SON album... She Knows me too well inclut désormais un autre point de vue, en proposant un auto-portrait vu à travers les yeux de la petite amie idéale. On débouche de toute façon sur l'insécurité de Brian, son thème majeur. Les arrangements sont ici dominés par les voix. Dernier des morceaux ambitieux de l'album, In the back of my mind est chanté par Dennis Wilson, pour une des ces interprétations "soul" dont il avait le secret. Les musiciens autour de lui incluent un ensemble orchestral impressionnant, et un pont inattendu, qui n'a pas dû être facile à mettre en place. Le dernier mot, signe de l'ambition de compositeur (un peu naïf, mais tellement touchant) revient aux cordes...

Le seul et unique morceau de remplissage est le dernier, Bull session with Big daddy, un montage d'extraits d'une interview de Brian, Carl, Dennis et Mike Love en compagnie de Marilyn, l'épouse de Brian. Aucun intérêt... 

Ce qui compte, aujourd'hui, c'est de pouvoir entendre sur cet album, les ambitions de Brian Wilson commençant enfin à faire en sorte de concrétiser les sons qu'il avait en tête, de s'adresser à son auditeur en essayant de le surprendre en permanence, et de ne pas se contenter de répéter à l'envi une formule, certes plaisante, mais qui aurait fini par être stérile. En créant cet album, Wilson a inscrit définitivement les Beach boys dans la durée, et a semble-t-il pris acte du fait qu'il avait enfin de la concurrence: ce n'est pas un hasard si cet album intervient après l'année qui a permis aux Beach Boys de découvrir leurs compétiteurs de Liverpool; de part et d'autre, surtout entre Brian Wilson et Paul McCartney, l'amitié comparative avait commencé, et n'allait pas tarder à porter ses fruits. D'abord, en sortant un single presque avant-gardiste dans sa construction (qui n'allait pas rencontrer le succès, d'ailleurs), The little girl I once knew, la seule face A des Beach Boys à ne se trouver sur aucun album. Puis l'année suivante, par l'enregistrement de Pet Sounds.

Puis...

 

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