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Spiral

De musique avant toute chose

The Kinks are The Village Green Preservation Society (Pye, 1968)

Le grand œuvre des Kinks est un album plutôt discret : il est un peu passé inaperçu à sa sortie, et il faut dire qu'il ne contenait pas de single. Du moins dans sa deuxième version... Oui, car il a eu une histoire sacrément compliquée ! L'album, contrairement à Sgt.Pepper's (auquel je ne me prive pas de le comparer, parce que oui, en effet, il est de cette importance!), ne visait ni à cristalliser les expérimentations de l'époque, ni à se situer à l'avant-garde.

...Plutôt que de chercher à secouer le cocotier, si on changeait de programme et qu'on regardait ce qu'on a, et qu'on a envie de maintenir? Et si au lieu de se précipiter sur la première révolution venue, on maintenait et consolidait le passé en vue du futur? Voilà en substance le programme (qui est, on en conviendra, particulièrement adulte) proposé par Ray Davies à ses adjoints, et mis en branle dans quinze chansons, tendres et souvent gentiment lyriques, mais auto-suffisantes... Produites bien évidemment et écrites en intégralité par Raymond Douglas Davies. Et on débouche sur un disque qui nous confronte d'une manière rare à une sorte de confession personnelle d'un Britannique plus Anglais que la Reine elle-même... 

The Village Green Preservation Society : l'énoncé du programme, donc... en une plaisante ballade arrangée de façon sobre mais efficace (Ah, le mellotron ! Je ne m'en lasserai jamais...), Ray Davies annonce la couleur : toute l'Angleterre y passe... Je cite : « We are the Sherlock Holmes English speaking vernacular, help save Fu Manchu, Moriarty and Dracula »... Donc non seulement le message est tout sauf banal à l'heure de tout contester, mais en plus il ne manque pas d'humour...

Do you remember Walter : sur une rythmique très précise, les guitares s'amusent et les claviers font l'ambiance. Vous rappelez-vous Walter ? Non, parce qu'il a changé... La voix de Ray Davies est en apparence détachée, mais il parle quand même de la perte des repères et en particulier de la mort de la jeunesse. Avec humour, encore !

Picture Book : sur une rythmique là encore irrésistible, les Kinks, davies en tête, chantent la gloire de ces photos de famille qu'on fait sans réfléchir et qui restent. La qualité de l'interprétation de cet album, sur cette chanson come les autres, fait merveille. Et contrairement à la chanson-titre, ici, il n'y a que les quatre musiciens.

Johnny Thunder commence avec des guitares acoustiques, mais très vite Pete Quaife, à la basse, et Mick Avory à la batterie, viennent prendre le pouvoir. Sous la douceur des guitares, cette histoire est celle d'un voyou, à l'anglaise...

Le goût des Kinks pour le R'n B revient en force avec Last of the steam-powered trains. Une ode à une locomotive sortie du circuit pour rejoindre un musée. Harmonica, guitares bien présente, et basse et batterie en soutien bien ancré, c'est une réussite. ...Sauf sur l'accélération du rythme, qui ne s'imposait pas.

Big sky nous donne le point de vue d'une persone qui nous regarde de haut... Dieu? : ce « Big sky », Ray Davies n'a jamais voulu en révéler l'identité. Mais le propos est surtout de fustiger ls comportements ici-bas... La chanson suit le chanteur dans ses anecdotes, parfois parlées au lieu de chantées, et le résultat est superbe de bout en bout, avec un beau travail de Dave Davies à la guitare électrique en soutien de son grand frère.

Sitting by the riverside, sur des guitares, la basse, la batterie et le piano, Ray Davies et les Kinks chantent le plaisir simple de la pêche, à « regarder l'eau passer ». Bref, la vie dans les coulisses, en marge, érigée comme idéal. La chanson hérite de deux traditions bien différentes : le music hall d'une part, mais aussi une certaine forme de psychédélisme ambiant, avec ces moments durant lesquels les sons semblent simuler une certaine ivresse...

La face B commence en fanfare avec Animal farm, que je tiens pour l'une des chansons les plus belles de l'histoire de la pop anglaise. Magnifiée par le mellotron qui fournit un arrangement de cordes, c'est d'abord une chanson acoustique. N'y cherchez aucune allusion à Orwell (ou alors, par anti-phrase) : cette « ferme des animaux » est en fait l'expression d'un désir de retourner à la nature, versant campagne... Le désir de ne sortir aucun single de l'album en Grande-Bretagne était celui de Ray Davies, mais cette chanson aurait certainement fait le boulot !

Village Green est une chanson ancienne, en quelque sorte, qui date des séances d'enregistrement de Something else, leur album précédent. On y entend un ensemble orchestral qui complète les Kinks, et outre les vents et les cordes, Nicky Hopkins y joue du clavecin. Là encore, c'est de retour à la nature qu'il est question, mais cette fois sous l'angle de la nostalgie. La partie de cor anglais est particulièrement belle.

Starstruck est un peu à part. Ray Davies ironise vis-à-vis d'une jeune femme qui est trop amoureuse de lui... la chanson convoque une fois de plus les joyeux choeurs de vaudeville, et un arrangement de cordes (ou simili, un mellotron a été utilisé, une fois de plus). Un single est sorti aux Etats-Unis, dans l'indifférence générale. Mais pourquoi ?

Après quelques notes dues à l'inévitable mellotron, Ray Davies chante d'une voix douce ce Phenomenal Cat qui est sans doute la chanson la plus dans l'air du temps, musicalement parlant, de l'album. Même si elle sonne souvent comme une maquette en système D, mais c'est bien souvent le son des disques Pye des Kinks, qui n'avaient pas tant de temps alloué pour l'enregistrement. Ray Davies, aidé par des choeurs psychédéliques (voix déformées), y chante l'histoire d'un « chat phénoménal », qui ne fait rien de ses journées et mange ce que des imbéciles dévoués lui donnent, car... Il a appris le sens de la vie !

All of my friends were there adopte là encore le style musical du vaudeville, pour raconter l'histoire d'un artiste qui s'est planté devant tous ses copains, mais réussit à tout rattraper par un triomphe. Un peu l'histoire en dents de scie des Kinks, quoi...

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles Wicked Annabella détonne... d'une part c'est Dave Davies, et non Ray, qui chante, et comme toujours il lui fallait quelque chose de plus voyou... Donc c'est du rock assez dur, avec un riff réduit à l'essentiel, et une batterie omniprésente. Et Dave Davies oblige, si ça se contente de raconter les exploits d'une sorcière dans la tradition des contes, je pense qu'elle doit être particulièrement sexy. Mais surtout, il faut quand même dire que c'est loin d'être la meilleure chanson de l'album, non ?

Ray Davies invente le folk-calypso, avec la chanson Monica. C'est l'histoire d'une femme assez obligeante, somme toute, dont le protagoniste est amoureux. Une chanson plaisante, qui contribue à diversifier les styles musicaux de l'album.

People take pictures of each other revient un peu au thème de Picture Book, mais cette fois il ne s'agit pas de retrouver des photos jaunies, mais cette manie que les gens ont de prendre des photos pour se prouver qu'ils saiment. Mais il est sardonique, puisque quand il est question de montrer des photos de lui quand il avait trois ans, sa réaction est « ne m'en montrez plus s'il vous plaît »... la chanson est un de ces mélanges entre folk (les guitares acoustiques) et une rythmique excitante et qui structure la chanson. Et c'est une façon intéressante de finir l'album sans grand final... car d'une certaine façon, tous les albums, toutes les chansons des Kinks qui suivront seront une continuation de cet album et de ses thèmes.

L'histoire se complique : Pye était pressé, et suite à un cafouillage, l'album (enregistré de l'été à octobre) était sorti dans une première version en octobre 1968, sans avoir été approuvé par Ray Davies. Cette version de douze chansons était uniquement disponible en Europe, et les chansons étaient :

The Village Green Preservation Society / Do you remember Walter / Picture Book / Johnny Thunder / Monica / Days / Village Green / Mr Songbird / Wicked Annabella / Starstruck / Phenomenal Cat / People take pictures of each other

Donc, les chansons sont déjà organisées selon un ordre bien précis, qui ne bougera pas pour les dix qui resteront dans la deuxième version, montrant la solidité du concept pour Davies lui-même. On note d'autre part deux chansons supplémentaires, Days et Mr Songbird, mais aussi et surtout cinq chansons de moins, qui toutes montrent l'insistance de Ray Davies à parler d'aspects particuliers (et très insulaires... Ces histoires de train!) de la vie en Grande-Bretagne.

Days : Sortie en single en Grande-Bretagne, Days est une chanson pop superbe (un peu comme Animal farm, et qui célèbre l'instant. Parfaitement à sa place sur l'album, mais ce thème y était sans doute plus intéressant avec Sitting by the riverside.

Mr Songbird : Liam Gallagher a du l'entendre, celle-ci... Une chanson pop avec guitares acoustique, et mellotron, sur un rythme avec balais. Une chanson qui célèbre le pouvoir de la musique, un air comme ray davies devait sans doute pouvoir les composer d'un seul trait. C'est à la fois anecdotique, et... mignon tout plein.

Ainsi, dans cet album presque anachronique, les Kinks n'ont pas besoin des égarements et des excès ni du psychédélisme, ni du rock progressif, pas de provocation à outrance, l'instrumentation riche sert ici la mission, celle de délivrer des chansons séduisantes, magnifiques souvent, mais qui rappellent une bonne fois pour toutes qu'on parle en fait de l'Angleterre immémoriale. Et 45 minutes plus tard (ou 51 si on veut être complet!), on y retourne, et on y retournera toujours, parce que la beauté qui s'en dégage est elle aussi intemporelle.

 

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