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Spiral

De musique avant toute chose

Nino Ferrer Métronomie (Riviera/ Barclay, 1971)

Métronomie, c'est l'entrée inopinée du rock dans l'âge adulte en France. Certes, il y a eu du rock 'n roll dans ce beau pays, mais alors que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont été les théâtres d'évolutions majeures, en France on en est resté à Salut les copains... L'industrie musicale n'a pas su évoluer, et pour un Serge Gainsbourg ou une Françoise Hardy qui ont réussi à se prendre en mains, combien d'artistes cantonnés par des labels frileux dans une image interdite d'évolution? Nino Ferrer, dont le premier album en 1966 s'intitulait arbitrairement Enregistrement public, mais ne contenait que des enregistrements studio déjà sortis, n'en pouvait plus, lui qui savait pour les avoir entendus qu'il y avait d'autres musiciens, d'autres possibilités... Après le caprice personnel qui consistait à tourner et enregistrer en Italie pour produire un disque cru, inattendu et bouillonnant (Rats and Rolls), il a fini par persuader Barclay de lui laisser une chance de faire exactement ce qu'il voulait... Ce qui résulta en cet album, un disque totalement différent de ce qu'on connaissait de lui jusqu'alors: un album concept sur la société de consommation, inattendu pour l'auteur du Téléfon... Moins inattendu quand on connaît son agacement face à la situation musicale dans son pays d'adoption. 

Tout commence par Métronomie, un... instrumental de 9 minutes! Structuré autour d'une performance de groupe (Orgue, Guitare, Basse, Batterie), il doit beaucoup à Reminiscenza, le premier titre du groupe Rats and rolls sur l'album du même nom, dont Giorgio Gombolini était déjà le clavier. Mais cet enregistrement studio, mieux structuré justement, met mieux en valeur encore la dynamique permanente entre pleins et déliés, la discipline de groupe, de musiciens qui sont à l'écoute des nouveaux développements du rock, qu'ils viennent de Cambridge ou de Canterbury... Nino Ferrer y est le maître de cérémonie, présent surtout par des comptes à rebours qui aident l'auditeur à se retrouver dans le foisonnement. On a même droit à un solo de guitare de Slim Pezin, tout en nuances, avec une utilisation forte de distorsion sur son micro chevalet... On entendra aussi des effets sonores variés, dont du vent qui nous rappelle un peu One of these days... Mais Gombolini reste clairement le principal protagoniste. Le titre s'enchaîne sans pause sur la première chanson proprement dite, Les enfants de la patrie.

Dans l'ensemble de l'album, on sent bien que Nino Ferrer n'a pas les mêmes aspirations philosophiques que Michel Sardou, et c'est d'autant plus vrai dans trois d'entre elles: avec ses rythmes particulièrement marqués par des percussions diverses, et son groove rhythm 'n blues, la première donc pourrait presque passer pour une chanson de Nino Ferrer à l'ancienne... Mais son propos est de fustiger le destin à la française, le fait de vivre à l'ombre des matraques... pour rien. La deuxième de ces chansons notablement "militantes" ou "provocantes" suivant les points de vue est Cannabis, adaptée de Canapa Indiana, qui figurait sur Rats. C'est entièrement consacré non pas à une substance, mais à toutes les drogues, présentées comme une échappatoire, sans pour autant être une apologie. Tout au plus, un constat, effectué sur un fonds musical énergique, qui renvoie à nouveau au style énervé et hérité du rock progressif de l'album Italien. Gombolini s'y distingue encore... Un titre en écho, situé pus tard sur l'album, est un appel du pied plus explicite, mais prudent: il est en Anglais (Freak).

La troisième chanson à texte de l'album est adaptée d'une chanson de Rats and rolls, et chante la crainte écologique: on ne présente plus La maison près de la fontaine, qui sortie en single avec Les enfants de la patrie rattrapera un peu l'insuccès de l'album. Ferrer termine son disque avec un retour à un titre qui lui tient vraiment à coeur (et dont il aura enregistré au moins six versions, entre 1963 et 1995): Pour oublier qu'on s'est aimé, sa blessure personnelle... Enregistré au départ afin de combler un vide, car Ferrer estimait que les radios françaises n'avaient rien de qualité à se mettre sous la dent... Le single ne trouvant pas preneur, Ferrer avait donc résolu de devenir pourvoyeur de chansons faciles en 2mn30. Contrairement à Gainsbourg ("j'ai retourné ma veste quand j'ai réalisé qu'elle était doublée de vison"), il n'acceptera jamais cette situation, et traitera toujours le succès comme une preuve de faiblesse... Quoi qu'il en soit, parfaitement servi par son groupe et l'orgue brûlant de Gombolini, le titre est ici dans sa meilleure interprétation... Deux autres titres sont sur l'album, que je n'ai pas mentionnés, Isabelle, une chanson qui fustige le conformisme du point de vue des parents. Sans doute pas un chef d'oeuvre, mais on y entend aussi une provocation inattendue: le son d'un bombardier en piqué, ce qui a dû irriter pas mal les oreilles des adultes qui avaient vécu la guerre. L'autre titre est la fin de la première face, l'instrumental Métronomie II...

Donc, on s'en doute, l'album n'aura aucun succès immédiat, le seul qui vaille la peine pour un label, en 1971 comme en 2022. Il est enfin devenu un classique, un vrai, un beau, tout en étant encore un peu difficile d'accès pour les oreilles chastes nourries à Mirza. Un disque soigné mais foutraque, enfantin mais adulte, qui ne sonne jamais comme s'il avait été réalisé en France, ce qui est un gage de qualité. Et puis, bon, il y a un tube dessus, hein, je sais que Nino Ferrer ne voulait pas qu'on le dise trop souvent, mais après tout, lors de ses concerts de 1995, il commençait quand même par cette chanson, toujours aussi pertinente hélas plus de cinquante années plus tard, La maison près de la fontaine. Je ne pense pas qu'il entamait ses concerts avec pour l'évacuer une bonne fois pour toutes, mais sans doute parce qu'il l'aimait. Et on n'a pas toujours envie d'oublier qu'on a aimé.

 

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