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Spiral

De musique avant toute chose

Madison Cunningham Revealer (Verve Forecast, 2022)

Le deuxième album de Madison Cunningham est une incroyable réussite. Tout de suite, je vais le dire, si on examine sa discographie, on verra beaucoup de choses, à commencer par Authenticity, un album de 2014 que la chanteuse renie. Pour elle son vrai premier album est sorti en 2019... Reprenons: auteure, compositrice, chanteuse et guitariste, elle a décidé de réaliser un disque dans lequel elle laisse vagabonder ses paroles riches, abondantes et poétiques autour d'une série de confessions, personnelles, symboliques voire paraboliques, mises en musique d'une façon inouïe: une façon de chanter en caressant de sa voix l'auditeur, qui n'appartient qu'à elle (et ça fait du bien d'entendre une VRAIE voix originale), et une façon de jouer de la guitare comme absolument personne. Clairement autodidacte, son instrument est une extension naturelle de son corps, et elle l'utilise d'une façon totalement inédite. Bref, ce n'est pas Eric Crapton, amateurs de blues en la, passez votre chemin (la porte, c'est par là)... Et si la dame a des influences (je vais faire du name-dropping, tout à l'heure) elle les transcende allègrement. Aucune chanson ici ne se contentera d'être un "à la manière de ..."...

Avec All I've ever known, la chanteuse explore les différentes façons de se situer face à des changements, des nouvelles opportunités, les questions à se poser et les réponses à apporter. Elle qui avait cherché dans la foi à l'époque de son premier album des réponses, semble désormais les chercher dans toutes les directions... La chanson est notable pour un travail remarquable de la dame: elle a quasiment joué de tous les instruments... C'est le seul sur l'album, mais c'est une sacrée promesse...

On comprend que Hospital soit sorti en single il y a quelques semaine: porté par un riff absolument magique sur sa Fender Jazzmaster accordée en do grave, c'est du rock majeur... C'est chanté sur un tempo tranquille, si typique du rock Américain, perméable à toutes les influences... Chaloupé, presque psychédélique et truffé de guitares rigolotes (toutes jouées par Madison Cunningham), c'est une chanson qui montre un état des lieux de l'humanité ivre d'un excès d'information... C'est un monument d'évidence, qu'elle prend sur un registre très étendu... Oui, car Madison ne ressemble à aucun guitariste, mais aucun(e) chanteur(euse) non plus...

Anywhere, également sorti en single, est presque dansant, et le tapis de guitares qui le soutient ferait presque penser à une boucle tirée d'un enregistrement Sud-Africain (il y a une connexion entre l'univers de Cunningham et celui de Paul Simon, autre auteur-compositeur-guitariste interprète!). Et derrière le côté solaire de la musique, deux thèmes ici se croisent: d'une part, cette tendance qu'on a à presque vivre des conversations imaginées avec des gens absents... Et de l'autre, cette importance excessive que les opinions des autres ont de vous. Une fois de plus, sur ce morceau atypique, les prouesses vocales et artistiques sont majeures...

Sunshine over the counter est une chanson qui part dans tous les sens, sur un tapis de guitares, de ce son si particulier... Mais la fête sonore est aussi riche de tout un tas de merveilles: des notes de clarinette basse, des flutes (ou du Mellotron on ne sais pas trop), et une rythmique qui change tout le temps sans trop se faire remarquer... Et un pont miraculeux: pas étonnant, Madison Cunningham a avoué avoir été influencée par le plus grand groupe de tous les temps, à savoir XTC, et l'influence de l'écriture de Andy Partridge est évidente dans cette chanson sur les souvenirs d'avoir grandi avec ses soeurs... 

Life according to Raechel devient, tout de suite, grave. Est-ce le dénuement de l'accompagnement, tout en douceur? Ou la beauté simple des arrangements de cordes? Ou tout simplement la triste majesté des lignes mélodiques? On profitera d'autant de la belle voix de Madison qui a mis sa guitare légèrement en veilleuse pour se concentrer sur son chant... Elle évoque ici la douleur de la perte, en l'occurrence celle de sa grand-mère. Cette chanson aussi a été choisie pour la promotion de cet album hors-normes.

Who are you now? revient à du plus classique tout en restant assez typique du style de Madison Cunningham, à savoir une chanson hautement mélodique, à la structure riche, ancrée sur une guitare excitante qui évite absolument tous les clichés de l'instrument... C'est une chanson formidable qui évoque la douleur d'une amitié qui fout le camp. Et là encore les délicieuses sonorités pop sixties se mélangent au cordes, en parfaite harmonie... Une note au passage: Who are you now est aussi le titre de l'album précédent de Madison Cunningham... Mais la chanson, forcément, n'y est pas.

In from japan me fait irrésistiblement à une chanteuse au talent démesuré, Aimee Mann... On y entend cette extravagante aisance à arranger une chanson en pervertissant tous les ingrédients qu'on apporte: les guitares n'y sonnent pas comme des guitares, les cordes s'y mélangent allègrement avec les instruments électroniques (dont le fidèle Mellotron), et le chant se place au-dessus de tout ça, royalement, pour une thématique autour de la difficulté d'agir quand tout le monde vous dit d'aller de l'avant... Alors que vous n'avez pas la moindre idée de ce que vous voulez faire. 

On est surpris par le début de Collider Particles, avec des percussions électroniques... Surtout quand elles sont rejointes par des guitares qui sonnent comme des instruments Nord-Africains! En termes sous haute influence (religion, littérature classique et science) elle s'interroge sur la place de l'homme face à la science. La soif de tenter voire de se planter: les erreurs sont des miracle qui sont là pour vous faire vous demander "pourquoi?"

... On pensera un peu à Radiohead, dans Hate could power a train, avec ce tapis de guitares absolument folles, ce qui ne nous étonnera qu'à moitié: la dame a repris No surprises sur son EP Wednesday... Mais un Radiohead sexy, qui se laisserait aller à un pont toutes voiles dehors, avec les choeurs qui font du bien à l'âme! Cette chanson se situe dans une catégorie à part: celle des chansons d'amour qui sont aussi des chansons de haine... 

Un thème qui est aussi celui de Our rebellion, plus en douceur, avec une voix qui se fait plus caressante. Une fois de plus on sera confondu par l'étrange tension amenée par la position de la guitare, par dessus une rythmique en totale liberté. Et la liberté, justement, de la voix, qui semble pouvoir tout faire (y compris se dédoubler, voire se tripler).

L'album se termine sur Sara and the silent crowd, une valse folk... Véhiculée par ces sons mélangés de guitares graves et de percussions qui font désormais, la marque de fabrique de cet album! Une fois de plus la mélodie chantée est d'une immense richesse... La chanson, pour autant que je puisse en juger, semble se pencher avec ironie sur la situation de cette personne qui vient d'ouvrir son coeur à tous. Un peu ce que Madison Cunningham a fait sur cet album plein de 'révélations'... La guitariste n'oublie pas de se signaler avec de belles lignes d'un solo court mais mordant.

Vous l'aurez compris, je ne modère absolument pas mon enthousiasme. Je n'en ai aucune envie: cet album est aussi excitant que le furent les découvertes enthousiasmées, justement, de Stealing Sheep (encore des iconoclastes, celles-ci, tiens), des Radiohead (Hein?), de Aimee Mann (je sais, elle est totalement inconnue en France), des Nits (pardon?), de XTC (NON?) ou de Judee Sill... Un album totalement réussi, à écouter et réécouter en boucle, qui fait le plus grand bien au moment où on en a le plus besoin...

 

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