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Spiral

De musique avant toute chose

Caravan (Verve Forecast, 1968)

Caravan vient de Canterbury, et des décombres d'un groupe de R 'n B local, dont ont fait partie Kevin Ayers (guitare) et Robert Wyatt (batterie). Lors de la séparation des Wilde Flowers, une partie est donc partie fonder Soft Machine, et l'autre Caravan... C'est probablement la fondation de ce qu'on appelle avec insistance la "scène de Canterbury", une école de rock progressif assez avant-gardiste dont la plupart des protagonistes ont toujours nié l'existence. Quoi qu'il en soit, le groupe, formé de Dave Sinclair (Claviers), Richard Sinclair (son cousin, à la basse), Pye Hastings (Guitares) et Richard Coughlan (Batterie), faisait partie de cette vague de musiciens venus sur le devant de la scène avec le rock psychédélique, et qui s'apprêtaient à faire évoluer le genre d'une façon importante pendant la décennie qui s'annonçait.

Leur premier album, produit par Tony Cox, était plus que prometteur, et a été enregistré pour le label Verve, qui cherchait alors à s'implanter en Grande-Bretagne. Initialement fondé dans les années 50 par Norman Granz (Producteur, promoteur et manager de jazzmen et women importants) et était dédié au jazz, avant d'être racheté et passé par plusieurs mains. En 1966, devenu la propriété de MGM, ils avaient signé Frank Zappa... 

La musique de cet album est bien du rock progressif, qui comme Soft Machine dans sa première incarnation en trio (Ayers, Wyatt, Ratledge), portait plus l'accent sur les claviers et en particulier l'orgue, que sur la guitare. Celle-ci, jouée par Pye hastings, est essentiellement un instrument rythmique... Mais contrairement à Soft Machine, le groupe reste dans certaines limites raisonnables, et construit beaucoup sa séduction sur des chansons très élaborées avant l'enregistrement, et travaillées en répétition. les motifs apportés par les uns et les autres sont ensuite intégrés dans un dispositif de groupe afin de fonctionner sur scène. A l'occasion, en particulier sur ses albums, le groupe se servira de Jimmy Hastings, le frère de Pye, un virtuose des saxophones et de la flûte. Ici, on l'entend sur un seul morceau, Love song with flute.

Avec ses orgues omniprésent, et sa partie de batterie impressionnante, Place of my own est une composition idéale pour aborder Caravan: rêveur, mais les pieds sur terre. Mélodique et riche, impeccablement chanté par Hastings: une chanson suffisamment aventureuse pour annoncer la suite, mais dont vous pourrez retenir l'air... Ce qu'on ne trouve pas beaucoup sur le premier album de Soft Machine, il faut le dire!

Ride va plus loin avec un jeu sur les ambiances qui montre bien de quelle façon le groupe procédait sur scène: privilégiant une ambiance de groupe, sur des successions de solos. Tout le monde y fait un travail superbe, de Hastings (guitare fermement ancrée, chant délicat), à Dave Sinclair dont les claviers offrent toutes les palettes, en passant par une basse marmoréenne et un batteur en liberté totale. 

Policeman: chanté par Dave Sinclair, ce titre qui s'amuse avec es textures pop, fait penser au Pink Floyd de la période de transition (après le départ de Barrett, donc). Mais Sinclair, comme Hastings, est un chanteur poli et réservé... Alors que comme toujours Coughlan s'en donne à coeur joie avec un jeu sur les peaux et les textures (d'autant qu'il a droit à une solide dose de réverbération).

Le titre Love song with flute décrit assez bien la chanson qui suit... La flûte y est jouée par Jimmy Hastings, sur un ensemble qui repose sur le jeu aérien de Dave Sinclair. Le rythme passe de la lenteur à un beat quasi latin...

Cecil Rons finit la première face et on y entendra une solide dose d'humour et d'agression sonore, avec en prime un contraste vocal, entre les choeurs d'un côté, et un tonitruant "Cecil Rons!" grogné. Le ton est aimable, rigolo, et mélange avec allégresse les styles, en louchant du côté d'un rock médiéval qui fera les beaux jours (et les clichés, admettons) de tant de groupes de rock progressif...

Magic Man: introduite à l'orgue (avec le pied fermement installé sur la pédale de wah wah par Sinclair), cette chanson est une ballade rêveuse, dont Hastings chante le thème, un eu haut pour sa voix. Les choeurs y sont intéressants, et la chanson se termine dans les quatre minutes.

Grandma's lawn est une nouvelle exploration tranquille des possibilités de mélanger la pop avec les expériences du groupe. Sur un tempo soutenu, c'est encore Hastings qui chante. On y entend bien toute la dynamique du groupe: un batteur omniprésent, la guitare en souten rythmique, la basse pour ancrer l'harmonie, et l'orgue qui occupe tout l'espace restant, avec ses effets de wah-wah... Au chanteur de se placer par-dessus tout ça.

Tout album fondateur du rock progressif se devant d'avoir son morceau de bravoure qui dépasse les sept minutes, celui-ci n'est pas en reste: Where but for Caravan would I (largement piloté par Dave Sinclair) commence sur un rythme lent, avec le chant de Sinclair qui pose les bases mélodiques du morceau. Au bout de trois minutes, Coughlan propulse le groupe entier vers une redéfinition de la chanson, dominée par un solo d'orgue qui est l'un des sommets du disque. Quelques breaks nous font revenir au chant de départ. Le final vient après un nouveau changement de rythme, et le dernier mot revient à Coughlan, après une fin très élaborée à la guitare et à l'orgue...

Avec ce premier album, Caravan se place comme l'un des maillons essentiels du passage du rock de 1966-1967 vers ce qu'on allait donc appeler le "rock progressif". Si ce disque n'est pas ce qu'ils ont fait de mieux, pour autant on entend une équipe déjà très en place, consciente de ses limites (pas de solo de guitare, Hastings n'est pas David Gilmour), mais mettant fièrement en valeur ses atouts (Son batteur, son organiste de génie). Un groupe avec une voix distinctive, un sens de la structure, un goût pour les ambiances et leurs fluctuations, mais toujours déclinées avec humour. Le plus triste, c'est que ce disque a été enregistré pour un label qui a cessé d'exister quelques mois plus tard! D'où, pour Caravan, la nécessité de creuse son sillon sur scène, avant de trouver un nouveau port d'attache, à une époque où le temps était compté. 

Peut-être faut-il voir dans ce faux départ (pourtant indigne d'un album qui est très solide et largement satisfaisant) l'une des raison qui font de Caravan, aujourd'hui, un groupe beaucoup plus obscur que ses contemporains. Dommage, mais il y a tant à découvrir chez eux... Je m'y invite.

 

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