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Spiral

De musique avant toute chose

Prince and the Revolution Parade (Paisley Park/WB, 1986)

Ne réduisons pas cet album à un stéréotype, un seul: certes, c'est bien ici qu'on trouvera le hit Kiss, vers la fin de la face B. Mais si c'est le principal titre de notoriété de Parade, ce n'est qu'un épiphénomène assez anecdotique. Le reste vaut son pesant d'or... Mais est sans doute bien trop aventureux pour le grand public, ce qui explique le manque d'enthousiasme généralisé pour un album que je tiens pourtant pour le meilleur que j'ai entendu de la part d'un artiste prolifique... Surtout pour sa première moitié qui réinvente complètement les formes habituellement pratiquées depuis le début des années 80 par le multi-instrumentiste.

Tout est dans la transition et la fausse piste, chez Prince Roger Nelson: transition d'une part, Parade vient en droite ligne de Around the world in a day, la parenthèse en forme d'hommage aux sons du psychédélisme. Prince cette fois agrémente ses chansons d'une dose orchestrale assez inattendue, en utilisant presque les arrangements d'un large orchestre proposés par Clare Fischer, comme un éléments de percussion. Fausse piste ensuite: le sous-titre de cet album est "Music from the motion picture Under the cherry moon", mais il n'est absolument pas réductible à une bande originale de film, loin de là...

Prince a souhaité en particulier donner l'impression d'une progression continue, qui lie les morceaux entre eux, et souvent par la percussion. Les thèmes sont les mêmes que d'habitude: rapports humains pris sous tous les angles, enfance, instants magiques, introspection... Mais ce qui frappe, c'est le tissu musical, qui sonne comme jamais auparavant: à ce niveau, Prince fait une sorte de capsule temporelle d'avant-garde: 1986 comme vous ne l'avez jamais entendue...

Les grands, voire très grands moments abondent: toute la première face est à ce titre, exemplaire des exigences du maître de cérémonie. Christopher Tracy's parade, mélange inattendu de programmation à la Linn Drum machine et de parties orchestrales, est l'introduction à l'album. New Position, aux paroles sans trop d'ambiguité, nous fait entendre Prince en explorateur du funk sous un jour toujours plus austère: basse et batterie, essentiellement. I wonder U fait une petite transition toute en tension, avec les choeurs génériquement neutres qui sont sa spécialité. Under the cherry moon est l'application de la soul façon Prince, qui donne dans le vocal langoureux tout en proposant une piste musicale volontiers austère: batterie, piano, et nappes très légères de cordes: pas de basse, ni de guitare, ce qui provoque un déséquilibre palpable.

Aucune des quatre premières chansons n'a dépassé les 2:57, mais Girls and boys est la première exception: un groove de 5:30, avec le mélange habituel de sons électroniques et organiques (les saxophones -baryton et ténor- en particulier sont formidables, joués par Eric Leeds). Si on peut tiquer un peu sur la présence d'une série de phrases en français qui sont du plus haut ridicule, le résultat est excitant et très réussi. Les deux derniers morceaux de la première face sont moins intéressants: Life can be so nice se noie dans le trop-plein rythmique, et Venus de Milo est un court instrumental de conclusion pour la première partie de l'album.

Le rythme d'introduction de Mountains commence comme un morceau assez classique, avec un retour au son plein de 1999. Prince y chante en falsetto, et se repose sur une présence importante du groupe: clairement, la deuxième face sera nettement moins aventureuse. Ce qui n'empêche pas Do U lie? d'être une merveille de délicatesse, avec ambiance Parisienne (du jazz suranné, un accordéon, et une petite fille qui prononce une phrase en français ("Les enfants qui mentent ne vont pas au paradis"), et un vocal toujours délicieusement excentrique... Kiss, qu'on ne présente plus, est une petite merveille de funk fripon, et le seul morceau sur lequel Prince nous rappelle qu'il est aussi un guitariste talentueux. Anotherloverholenyohead revient lui aussi à un style de funk plus passe-partout qui avait fait la gloire de Prince, mais reste intéressant, par la façon dont la voix et la basse négocient ensemble la mélodie. Et le refrain est un modèle du genre... 

Prince nous assène le coup de grâce avec Sometimes it snows in april, une ballade qui prend son temps pour arriver. Le maître y joue du piano, et les sons sont cette fois strictement acoustiques et organiques: guitare acoustiques, voix, et piano. Une petite merveille, sans tension ni montée dramatique, comme un moment à part, de la part d'un artiste qui a si souvent été un truqueur impénitent. 

Aucun album de Prince n'est parfait, et beaucoup, voire beaucoup trop, sont vraiment intéressants par leur caractère résolument différent. Mais si celui-ci me paraît être le couronnement, c'est justement parce que la façon dont cette différence est assumée débouche sur une recréation complète des canons de son propre style par Prince, avant qu'il ne dissolve son "groupe". Tout ce qui suivra, sous quelque forme que ce soit, tendra à retourner à la base... Pas Parade, qui part dans l'espace intersidéral, avec bonheur et un sacré culot.

 

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