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Spiral

De musique avant toute chose

R.E.M. Life's rich pageant (I.R.S., 1986)

Ce quatrième album est l'occasion pour R.E.M. de continuer sa mutation, en développant le son du groupe vers une nouvelle dimension. Les arpèges sont toujours là, mais font de plus en plus place à des textures de guitares bien différentes, des accords plaqués, du feed-back, des riffs qui ne dépareraient pas dans un album de hard-rock des années 70. C'est sans doute le but poursuivi en travaillant avec le producteur Don Gehman: celui-ci n'a pas pour autant fait table rase du passé, l'univers musical reste clairement celui de R.E.M., mais revenu aux Etats-Unis, et qui ont injecté en même temps que cette pincée de rock dur, le folk introspectif de Fables of the Reconstruction dans leur rock 60s... Le résultat est unique, dynamique et détonnant... Le titre est ironique, une "pageant" étant une célébration folklorique façon fête du village: le propos de l'album va plus dans le ses de souligner la déliquescence des années Reagan, que d'en célébrer l'esprit de communion.

Begin the begin est un jeu de mots sur la chanson Begin the Beguine de Cole Porter, mais la finalité de cette chanson d'ouverture est bien moins innocente que le standard évoqué: c'est, sinon un appel aux armes, en tout cas une demande claire du chanteur pour une prise de conscience de la nécessité d'un engagement politique. Non seulement la cohérence de la chanson est facile à comprendre (allusions à Martin Luther King, par exemple) mais en plus le groupe s'engage, ce qu'il va faire de plus en plus... Si Begin the begin, véritable joyau, ne sortira pas en single, le groupe va souvent la jouer en concert, ne serait-ce que pour l'irrésistible enthousiasme qu'elle propose: comme une envie de se lever..

These days est elle aussi une chanson engageante autant qu'engagée: "We are young despite the years, we are concerned, we are hope despite the times"... Et dans un flot de guitares, sous-tendues par le duo Berry-Mills... Ces deux derniers fournissent aussi des choeurs impeccables derrière la diatribe enflammée de Stipe. Arrivés à cette deuxième chanson, on a compris que les obscurs troubadours sont en train de s'ouvrir à la perspective de parler eau plus grand nombre...

Fall on me est encore une chanson à message, mais d'après Stipe, il ne s'agit pas ici des "pluies acides", une interprétation souvent colportée. La chanson en effet parle de la destruction en cours d'une société, à travers des buildings qui s'effondrent, des ruines qui témoignent d'un passé oublié... C'est une ballade folk, avec ses choeurs et sa mélodie interprétée avec un lyrisme contrôlé par Michael Stipe: c'est aussi le premier single extrait de l'album...

Encore une fois, Cuyahoga témoigne du fait que Stipe écrit désormais des chansons à la signification plus que claire: le titre fait référence à une rivière, la Cuyahoga en Ohio, qui a subi une pollution intense. Sans parler de la connection entre le lieu et l'histoire Amérindienne, le point de vue choisi est clairement celui d'un groupe de Blancs motivés par le concept de destinée manifeste: refaçonner le pays, au mépris total de ceux qui ont vécu ou tout simplement apprécié la vie locale ("this is where we walked, this is where we swam"). Cette superbe chanson est menée par une mélodie puissante à la basse, agrémentée d'un rythme sûr (caisse claire en avant) et de guitares surtout en accords plaqués. On voit de quelle façon la production de rock traditionnel sert malgré tout le propos, car la force de la chanson l'emporte sur son habillage, comme le font les meilleurs disques de Bruce Springsteen. Et Stipe évite constamment de se vautrer dans le misérabilisme: chef d'oeuvre!

Hyena sonne comme un chanson qui aurait eu sa place sur Reckoning, avec des paroles nettement plus obscures, qui prennent le point de vue d'un animal... Pas de surprise: Hyena est effectivement une chanson que le groupe jouait sur scène dès 1983, et qui avait échappé à la mise en boîte aussi bien sur Reckoning que sur Fables... Une sorte de résurgence du passé du groupe, de réaffirmation de son style, et un classique apprécié des fans. Le morceau ne dépare pas du tout...

Underneath the bunker est sans doute la plus incongrue des chansons de l'album. Une sorte de petite chose latine, avec Stipe qui chante dans un porte-voix, et la figure de guitare de Peter Buck, sur fond de percussions et harmonium. Ca ne sonne peut-être pas très sérieux, mais c'est aussi dans le thème, le "bunker" étant probablement un de ces abris de fortune qui ont fleuri dans les années cinquante, en pleine guerre froide. La présence de la chanson souligne bien sûr la politique étrangère de Reagan, qui retourne aux fondamentaux de la peur communiste. Pour vivre heureux visons simplets...

Sous couvert de botanique, Flowers of Guatemala est une nouvelle allusion à la politique mondiale et à l'implication dommageable des Etats-Unis: selon Peter Buck, le Guatemala des années 80 est un lieu où des centaines de personnes disparaissent sans laisser de trace tous les ans, avec la bénédiction du gouvernement Américain, depuis les années 50. Cette ballade au lyrisme appuyé est un modèle de construction "classique", bénéficiant même d'un solo de guitare. Peter Buck, qui de son propre aveu n'a rien d'un Eddie Van Halen (TANT MIEUX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!), se sort avec les honneurs de l'exercice.

C'est une petite surprise qui commence I believe: un solo de banjo tranquille, qui sans crier gare se voit recouvert... de guitares, basse et batterie sur un tempo nettement plus rapide, et dans une tonalité différente. Un gag qui souligne malgré tout le côté nostalgique et profondément folk de la chanson. Comme Hyena, c'est du R.E.M. à l'ancienne, et la chanson était d'ailleurs prévue pour Fables of the Reconstruction (sous le titre de When I was young). Les arpèges sont là, les allusions au folklore et à la nature Sudiste aussi... On y entend un accordéon

Avec son petit air "laid-back", What if we give it away serait-il la petite chanson décalée de l'album? On a déjà vu (en tout cas, sur ce blog, on l'a vu, je ne me prononcerai pas pour les autres millions de personnes qui n'y ont pas encore mis les pieds) qu'un album de R.E.M. a souvent, en particulier sur sa face B, une chanson à ne pas prendre trop au sérieux... Pourtant, la structure constamment changeante de celle-ci fait s'éloigner tout accusation de futilité, et c'est un petit chef d'oeuvre. Et le thème est tout sauf anodin: le Tom auquel il est fait allusion, est bien sûr Tom Joad, et la chanson parle de partir en laissant tout derrière soi, comme la famille Joad des Raisins de la colère. R.E.M. utilise donc Steinbeck, quelques années avant Springsteen.

Just a touch est une résurgence punk, un cri assez rauque ('n roll), avec des allusions à Patti Smith, et un refrain qui montre de quelle manière la rythmique de R.E.M. est capable de se motiver sans prendre le temps de faire des prisonniers! Un piano incongru et un orgue se font parfois entendre derrière les giclées de guitare...

Swan swan H. est une chanson acoustique dans laquelle Stipe chante accompagné d'abord de deux guitares acoustiques, puis de batterie et d'accordéon. Ca ressemble à une description noire d'un Sud à bout de souffle, et n'ayant plus que son folklore vieillot pour tenir le coup... 

Avec la dernière chanson, nous allons pouvoir nous pencher sur la contribution inattendue et souvent cruciale, d'un membre du groupe; nous allons pouvoir évoquer une fois de plus la tendance à truffer les disques de R.E.M. de chansons n'ayant pas grand chose à voir avec le thème de l'album, juste pour rigoler; enfin, nous pouvons évoquer le décalage persistant entre les chansons effectivement présentes sur l'album, et ce qui est inscrit sur la pochette. (I am) Superman est une reprise d'un obscur classique, composé et interprété en 1969 par les Texans de The Clique. C'est donc sans aucun rapport avec le thème de Life's rich pageant, si ce n'est avec le titre de l'album! Superlan est un de ces titres choisis par le groupe pour déminer leur disque, un peu comme We walk, ou Rockville... On imagine bien Mike Mills tenir un stand de limonade locale dans une fête de quartier, déguisé en Superman. Oui, car pour la première fois, c'est Mills qui chante la partie la plus importante de cette chanson, car la légende insiste sur le fait que Stipe était embarrassé de la chanter! Mills, bassiste hors pair, et clavier inspiré, est sans doute le meilleur musicien du lot, et l'âme du groupe. C'est aussi un chanteur à la voix riche et sucrée, dont la contribution au son de R.E.M. est depuis longtemps d'une grande importance! Superman était une surprise pour l'auditeur de l'album (comme du reste Underneath the Bunker), puisque aucune mention de la présence du morceau en dernière position n'était faite... J'avais déjà parlé ici où là de cette tendance du groupe, notamment en faisant allusion à la présence en pochette intérieure de Fables, du titre When I was young, qui ne correspondait à aucune chanson. Cette étrange petite manie (volontaire ou non?) se poursuivra bon an mal an, notamment à travers la présence de morceaux "fantômes" sur certains albums, ou encore de fragments de jam en studio... 

Pour en finir avec ce morceau, rappelons le principal de ses paradoxes: indiqué nulle part sur la pochette, enregistré à contre coeur par Stipe, et laissé en fin d'album comme une ultime pirouette, (I am) Superman est en fait devenu le deuxième single extrait de Life's rich pageant, tout en étant aussi la toute première chanson de R.E.M. chantée par un autre que Michael Stipe.

Avec ses petits mystères et cachotteries, cet album au son claironnant est un nouveau pas en avant du groupe, qui se rend légèrement plus accessible au grand public, sans rien perdre de son caractère ni de sa spécificité. Et le disque, épuisant par sa richesse et son dynamisme, est un nouvel incontournable: ça devient une habitude... Et ça ne va pas s'arrêter de sitôt.

 

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