Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Spiral

De musique avant toute chose

R.E.M. Document (I.R.S., 1987)

Document, un titre qui sonne comme un non-titre. On aurait tout aussi bien pu imaginer l'album s'appeler Album, tout simplement. Mais le choix de ce qui par ailleurs est sous-titré R.E.M. n°5, est sans doute motivé par le côté "technique" du terme. Car l'album a un thème qui court du début à la fin, et est illustré de bien des façons. Un thème à la page en ces années de Républicains Yuppies à la Maison Blanche! R.E.M., qui s'apprête par ailleurs à rejoindre un nouveau label fort cossu (Warner Bros, rien que ça), y règle ses comptes avec une idée de l'Amérique tout en recentrant son style sur une certaine idée, personnelle et minimaliste, du rock 'n roll. Un rock habité de forts relents folk, soul parfois, et aux guitares aussi caverneuses que les bois Sudistes sont marécageux... 

La première chanson commence par le riff le plus minimaliste de tous les temps: un seul accord (Douze cordes), en boucle... The finest worksong est une chanson profondément ironique sur le travail. L'album dans son ensemble se veut une réflexion sur la place du travail dans la vie, et de la vie dans le travail! A ce titre, cet hymne primal, bâti sur le grandiose et l'harmonie, avec en son sein ce déluge de cordes de guitares, est l'une des plus spectaculaires chansons qui ait été amenée à démarrer un album du groupe. Elle est assez significative aussi de la direction de classicisme rock dans laquelle le producteur Scott Litt allait les emmener, tout en les encourageant à étendre leur champ d'action. Ici, on entendra le travail remarquable de Peter Buck, qui a enregistré au moins trois, si ce n'est pas quatre pistes de guitares. Mais Mike Mills, à la basse, n'est pas en reste, qui ajoute à sa partie, des moments où il slappe (attention, il n'est pas Stanley Clarke!) sur sa Precision Bass. C'est avec cette chanson que R.E.M. allait décider de rompre l'habitude prise avec Reckoning, de ne pas sortir la chanson d'ouverture en single.

Welcome to the occupation est une chanson critique sur l'interventionnisme Américain, mais elle est aussi profondément inscrite dans la même thématique que la précédente, avec l'inscription dès son premier couplet des deux termes Collar et Dollar: le premier fat immédiatement penser aux distinctions entre les travailleurs manuels (Blue collars) et les fonctionnaires ou gratte-papier (White collar). Quant au deuxième... Bienvenue dans un monde, donc, occupé par les Américains et le roi Dollar! Stylistiquement, c'est du R.E.M. très classique, tous arpèges dehors avec plusieurs couches de guitare, plus des vois magnifiquement orchestrées.

On retouche un peu à l'histoire vue d'un versant critique avec Exhuming McCarthy: Michael Stipe dresse avec humour un parallèle entre le McCarthysme des années 50, et la nouvelle attitude Reaganienne de promouvoir l'Amérique...  Musicalement, c'est tout droit venu des années 50 et 60, avec un beat soul fantastique, une structure à l'épreuve des balles, et des passages de guitares à fondre de bonheur... Ainsi que des saxophones arrangés aux petits oignons. 

Avec un riff grandiose, là encore, et la simplicité de la mélodie, Disturbance at the Heron house continue encore l'exploration "moderne" et sarcastique du corporatisme vu de l'intérieur. L'urgence des guitares et la rigueur des arrangements vont de pair avec l'interprétation "habitée" de Stipe (en plusieurs exemplaires, accompagnés de plusieurs Mike Mills aux choeurs), et un solo de guitare hirsute (une Rickenbacker, probablement) de Peter Buck!

Strange est une reprise, qui vient s'ajouter aux réinterprétations de chansons venues d'ailleurs (Toys in the attic, Crazy, Femme fatale, Pale blue eyes, There she goes again, King of the road), souvent sorties sur des faces B, et finalement collectées sur la compilation Dead Letter Office, mais aussi à (I am) Superman de Life's rich pageant. Le groupe y apparaît à son plus brut, avec un gros riff qui tache, et une rythmique qui bastonne. Stipe n'y fait pas preuve de beaucoup de subtilité, mais c'est juste une façon pour R.E.M. d'assumer leur appartenance au rock 'n roll. Et ce qui aurait dû sonner comme un titre mineur, porté sur le remplissage, sonne presque comme une déclaration d'intentions...

It's the end of the world as we know it (and I feel fine) est sans doute l'un des singles les plus célèbres de toute la carrière du groupe; c'était le deuxième tiré de cet album, et c'est un tour de force vocal sur un fonds assez punkoïde, fait de trois accords, lancés par une batterie véloce. Stipe y passe en revue tout ce qui se passerait dans le cas d'un cataclysme qui s'en prendrait à l'Amérique telle qu'il ne l'aime pas... Alors forcément, en ces temps de censure à tous crins, la chanson est mal vue, comme si on voulait rendre R.E.M. responsable de tous les maux du XXIe siècle... Scoop: ce n'est ni la faute de cette chanson si le 11 septembre a eu lieu, ni de celle de Michael Stipe ou de R.E.M.! Une chanson est une chanson, est une chanson, et rien de plus: l'expression d'un rêve, ou d'une rêverie, avec en prime une accumulation poétique dans laquelle, par exemple, on fait se suivre les noms de Leonard Bernstein, Leonid Brejnev, Lenny Bruce et Lester Bangs, une idée surréaliste qui vient, justement, d'un rêve. Et si la chanson vient en droite ligne de Bad Day (qui est en standby à cette époque depuis Life's rich pageant, et restera en sommeil jusqu'à 2003), elle s'en détache par l'immense joie qu'elle produit: comme un coup de pied bien placé dans une fourmilière qui le mérite. Un coup de pied... virtuel: rien à voir, donc, avec le 11 septembre.

D'ailleurs, après ça, comment faire autrement que de continuer par une chanson d'amour? The one I love est pourtant le contraire en même temps qu'un chef d'oeuvre brûlant, d'une simplicité absolue, et à l'effet immédiat. Les paroles en sont incisives, simples et peu nombreuses, la batterie et les guitares sonnent comme s'il y avait urgence, et la structure est la suivante: couplet, refrain (un seul mot: Fire!), couplet, refrain, puis solo de guitare, un exercice auquel Peter Buck se prête de plus en plus, mais toujours avec une immense retenue, et un sens mélodique indéniable, puis une fois de plus couplet et refrain. La chanson conte non pas l'amour, mais le fait de l'utiliser, de l'épuiser chez quelqu'un d'autre... avant de passer à autre chose. Toute simple, lyrique et bien envoyée, la chanson était inévitablement un single. Le premier de l'album, et l'un des hymnes rock de 1987: R.E.M. devient définitivement grand public avec cette chanson.

Fireplace est liée à la précédente par le mot Fire, bien sûr: mais la chanson fait aussi table rase: des murs, des chaises, mais aussi du raisonnable, tout y est jeté au feu. Un appel à changer, à tout consumer, qui passe aussi par la rythmique et un saxophone, aussi obsédant l'un que l'autre. Les notes post-Coltraniennes, tournoyantes, de sax ténor, sont dues à Steven Berlin, saxophoniste des Los Lobos.

Lightnin' Hopkins est introduit par un beat funk marqué d'écho, sur lequel Mike MIlls vient placer sa basse slappée, accompagnée de la guitare de Peter Buck à son plus vaudou! Stipe y chante en forçant sa voix sur un ton sarcastique, parfois soutenu par des choeurs... Autant cette chanson détonne dans l'univers de R.E.M., autant on les reconnaît parfaitement, ainsi que leurs racines Sudistes! Un passage étonnant, donc, dont je ne parviens pas le moins du monde à capter le sens de cette chanson dont le titre, par ailleurs, est une allusion au bluesman Lightnin' Hopkins...

King of birds semble se placer dans le thème, à travers l'expérience d'un poète, ou d'un chanteur, qui se refuse à regarder le passé et s'inspirer des autres. La chanson est divisée en parties, des couplets qui utilisent des sons folk (notamment un dulcimer), et des refrains et un pont, qui se contentent de l'instrumentation habituelle. Ce mélange de deux inspirations reviendra dans Green et Out of time, les deux albums suivants, pour finir par rester partie intégrante du son R.E.M., jusqu'à la fin du groupe en 2011. Cette chanson, qui dure plus de quatre minutes, semble aussi retourner aux tendances psychédélique du groupe, ce que confirme la chanson suivante, dont les parties de basse et de batterie auraient pu être très à leur place sur Fables of the Reconstruction.

Oddfellows local 151 conclut cette exploration post-reaganienne du thème du travail... en parlant de la vie quotidienne de trois clochards locaux, qui boivent cachés derrière une caserne de pompiers! On notera une troisième occurrence, sur cette deuxième face de l'album, du mot fire, et par ailleurs la chanson est surtout une série de méandres sans structure trop pré-établie, sur laquelle Stipe chante... Une façon comme une autre de terminer un album tout en continuant à se référer aux racines rock du groupe.

Scott Litt et R.E.M. se sont trouvé, et ne se quitteront plus pendant 9 ans. C'est avec ce producteur que les quatre musiciens feront leur cinq albums suivants, et accéderont au succès planétaire. Le suivant, d'ailleurs, sonne à mes oreilles, au moins dans sa forme, comme une continuation directe de celui-ci: sorti, il est vrai, à peine quatorze mois après, le groupe n'a pas eu le temps d'opérer une profonde mutation.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article