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Spiral

De musique avant toute chose

R.E.M. Chronic town (I.R.S., 1982)

Il n'y a pas d'autre groupe comme celui-ci. Bien sûr, on pourra toujours objecter qu'aussi bien géographiquement (B-52s), qu'historiquement (The Byrds) voire stylistiquement (les New wavers de Gang of four, les crypto-folk-popeux de Pylon) R.E.M. a quelques cousins, mais au fond leur originalité, née de leurs limites mais aussi de leurs excentricités respectives, les rend uniques. Leur parcours aussi, du reste: 30 ans, quinze albums, une poignée de titres à côté, des centaines de stades remplis, un seul changement de personnel notable et au final on pourrait encore les croiser dans la rue sans s'en rendre compte... mais de 1980 à 2011, ce groupe Sudiste, gauchiste et écologique, adepte de choses simples et gourmand de musiques de tous genres, nous a passionnés, affectés, accompagnés. Pour moi, c'est en 1984 que la "rencontre" a eu lieu... Pour beaucoup plus, la sortie de Document en 1987 a été cruciale. Et pour la vaste majorité des gens, ce sont les deux albums consécutifs Out of time et Automatic for the people qui leur ont permis d'accéder au rock singulier de nos natifs d'Athens, Georgie.

Tout ne commence pas par cet E.P., mais pas loin: avant, les quatre musiciens (Michael Stipe, chant, Peter Buck, guitares, Mike Mills, basse et Bill Berry, batterie) ont beaucoup tourné en particulier dans le Sud, mais ils ont aussi écrit des tonnes de chansons, raffiné leur formule, et essuyé des revers calamiteux: pas facile de tourner dans les diners et autre pool halls du sud profond, quand on est un punk à franges, et que le chanteur est, clairement, "différent"... Néanmoins le groupe, qui a déjà un single à son actif (Radio free Europe/Sitting still, chez Hibtone, paru en 1981), a fini par décrocher un contrat avec un label respecté: I.R.S.. La première étape avant d'enregistrer un album, c'était un E.P de cinq titres...

On le sent bien, les quatre de R.E.M. ne se sont pas privés de mettre leurs chansons les plus percutantes sur ce premier effort en longueur. Cinq titres en tout, trois sur la première face et deux sur la deuxième, pour vingt minutes de musique: les thèmes abordés vont être les premiers à nourrir la légende tenace selon laquelle les paroles de Stipe ne veulent rien dire, une légende souvent colportée par Peter Buck lui-même, sous forme de private joke. Pourtant le message de Wolves, lower, ne saurait être plus clair: des loups sont en train de se rassembler, ne vous faites pas prendre. Un message pertinent de la part d'un jeune chanteur Sudiste gay, qui sait ce que la communauté locale toute entière pense de ce genre de vie... Musicalement, cette chanson est un joyau: le groupe joue en permanence sur la tension, amenée par tous: la basse de Mills, qui ne joue presque jamais la note fondamentale, tissant en permanence des contre-mélodies; la guitare de Peter Buck, un guitariste qui a passé sa carrière à l'écart des solos, préférant comme ici tricoter un univers musical entier avec des arpèges, et un batteur qui sous-tend de manière parfaite cet échafaudage particulier, dans lequel il est amené à inter-agir avec tous, y compris avec Stipe. Ce dernier montre ici l'étendue de son registre...

Avec une introduction caractéristique et un tapis d'arpèges (un mélange de guitares 6 et douze cordes, et d'acoustique et d'électrique) qui deviendra un élément stylistique incontournable des trois premiers albums, Gardening at night est devenu un classique instantané, grâce à sa mélodie, et à son allure classique. C'est du R.E.M. moins aventureux, mais cette suite descendante d'accords joue merveilleusement de son dynamisme. La chanson, qui restera longtemps au répertoire du groupe avant de refaire une apparition surprise dans les derniers concerts, parle de tout et de rien: de ces voisins qui passent tellement de temps dans leur jardin, qu'on les imagine affairés à leurs potagers pendant la nuit... La chanson a eu tellement d'importance dans leur carrière qu'il en existe au moins deux autres versions, probablement mixées pour inclusion soit dans Murmur, soit dans Reckoning. Il existe aussi une version live sur le double Live at the Olympia.

Carnival of sorts (Boxcars) est une chanson plus obscure, qui semble encore une fois jouer sur ce délicat mélange typiquement Sudiste entre une menace locale et permanente ("Gentlemen, don't get caught") et un folklore omniprésent. Là encore, l'interaction entre Berry et Buck fait merveille, et tout indique qu'ils sont ceux qui permettent, ici comme dans d'autres chansons, de structurer automatiquement les morceaux autour de moments forts. la face A se termine sur un troisième classique; la face B sera plus aventureuse, avec deux titres qui disparaîtront assez vite du répertoire...

1,000,000 est basée sur un riff expéditif mais énergique. La chanson est une fois de plus basée sur l'antagonisme entre Stipe et les autres, qui le pousse à se protéger derrière l'écran de fumée de ses paroles. On lui souhaite effectivement, comme il dit, de vivre un million d'années... On y sent une énergie punk qui ne faiblit pas, montrant assez bien les deux visages du groupe: le côté "ligne claire" de leurs guitares, en son clair et sans effets, et un dynamisme rock'n roll sans faille.

Stumble est un exercice psychédélique un brin daté. Parlant une fois de plus de choses étranges qui se passent la nuit, sans les nommer, la chanson est répétitive, mais possède en son sein un moment magique: Stipe n'y chante plus, il parle par dessus un étrange fatras de percussions et d'harmoniques de guitare, certains effets de percussion ayant été mixés en avant. L'effet est assez unique en son genre, et montre R.E.M. déjà prêt à être maître des ambiances. C'est sans doute le moins bon morceau du disque, et ils ne le joueront plus beaucoup après ça, mais il reste une façon intéressante de montrer toutes les facettes du groupe, et de terminer leur premier disque.

Chronic town (au fait, un titre qui vient du refrain de Carnival of sorts) est bien plus que la carte de visite à laquelle se réduit, souvent, les premiers EP ou singles d'un groupe. Quatre de ces cinq chansons seront revisitées en 2007 pour une série de concerts-répétitions en public (je vous renvoie à Live at the Olympia, indispensable), à la grande joie du public Dublinois présent... Cet E.P. est à sa façon un vrai album, aussi court soit-il, et il forme on le verra un couple indissociable avec le premier LP, Murmur, qui sortira l'année suivante, et qui étendra de façon spectaculaire le champ d'action des quatre musiciens... 

 

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