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Spiral

De musique avant toute chose

Big Big Train Far skies, deep time (English Electric, 2010)

Album ou pas album? Officiellement, cette collection de cinq (ou six) titres, dont il existe d'ailleurs trois versions différentes, était un EP de complément, destiné à faire patienter les amateurs du groupe avant la sortie de leur prochain, et très ambitieux, album English Elctric (qui se déclinera en deux disques, avant un coffret récapitulatif). Un EP de complément à l'album de 2009 The underfall yard, et contenant essentiellement trois morceaux tirés des mêmes séances que cet album de 2009, avec la même équipe, plus une chanson épique (The wide open sea) consacrée aux derniers jours de Jacques Brel aux Marquises, et une reprise d'un titre rare de Anthony Philips... Une deuxième version est sortie ensuite, substituant une composition originale (Kingmaker) à la reprise, puis une troisième version regroupant l'ensemble est devenue la version courante! Autant dire qu'à 51 minutes au compteur, cet ensemble de six chansons a du mal à passer pour un EP!

Ce n'est, évidemment, pas important: ce qui compte, c'est de constater que derrière le pedigree de "chansons de deuxième choix" de ces quelques titres, ce qui évidemment se discute, on retrouve au moins l'ambiance formidable de The underfall yard, cette impression d'une équipe de musiciens entièrement soudée bien qu'ils ne se connaissent pas encore bien. C'est la deuxième parution de Big Big Train avec David Longdon, Dave Gregory, Nick D'Virgilio, Andy Poole et Greg Spawton, et non seulement ils s'entendent bien, mais leur compatibilité musicale est au beau fixe. Ils vont se faire assister d'autres musiciens, comme dans The underfall yard, mais leur nombre est limité, sans doute parce qu'officiellement, ce n'est qu'un EP de complément... Mais on retrouve ici la guitare de Jonathan Barry (Fat Billy Shouts Mine), les claviers d'Andy Tillison (qui reviendra durant l'enregistrement d'English Electric) et sur un titre, la contrebasse de... Danny Manners, trois ans avant qu'il n'intègre définitivement le groupe... Les compositions sont partagées entre Spawton et Longdon.

Dans la version qu'on peut écouter aujourd'hui, celle qui contient l'intégralité des six morceaux, Kingmaker est placé en tête, et Master of time, relégué en sixième position, devient presque un bonus de l'album...

On comprend le choix de placer Kingmaker, qui par ailleurs est sorti sur une compilation et en devient presque un single à part entière, en début de ce disque: c'est un hymne! Avec une construction savante ET une puissance mélodique certaine, c'est une ouverture parfaite pour l'album. La chanson est mi-mythologique, mi-humaniste, avec de subtiles références aux contes et légendes arthuriens, replacés dans un contexte plus moderne. Et pour un titre de 10 minutes, elle ne prend pas trop son temps... Un solo de Dave Gregory, court, mais incisif, sur un tempo rapide, sert de transition vers une partie plus lente et lyrique. Le seul musicien extérieur au groupe ici est Andy Tillison, mais la cohésion (et la plénitude du son) de Big Big Train sont à leur apogée. Et il est difficile de résister au "Come on!" de David Longdon juste avant la reprise du refrain "She sails over the distant horizon".

A nouveau, la construction de Fat Billy Shouts Mine montre un savoir-faire impressionnant et confirme qu'on n'est pas devant une collection de chansons laissées-pour-compte... Elle partage avec les autres une évocation des grands espaces qui passe ici par la mer: l'histoire d'un marin qui meurt sur une plage en se plaignant du fait que les filles et les espaces verts ne sont pas à son goût. Parmi les ingrédients notables, on trouve une contribution aux claviers de Martin Orford du groupe IQ (et membre de Big Big Train dans les années 90), et un très solide solo de guitare de Jonathan Barry. N'empêche, cette chanson sonne comme du Big Big Train d'avant The underfall yard...

British racing green est un morceau court, pris sur un tempo très lent, dans lequel l'atmosphère repose sur la retenue et d'impressionnantes textures: vibraphone, guitares avec effet de trémolo, et des choeurs dominés par  les voix graves, car c'était avant l'arrivée de Rachel Hall dans le groupe. La chanson montre aussi l'arrivée de Longdon dans l'équipe de composition.

Brambling parle d'un sujet de prédilection pour David Longdon: le passage à l'âge adulte, qui reviendra sous de multiples formes dans le répertoire du groupe: ce sera le sujet de Make some noise, ou de Brave Captain of the sky. Assez courte, elle bénéficie d'une belle intervention de guitare de Dave Gregory, qui s'est aussi plu à jouer sur la texture en faisant un bel usage de sa wah-wah hendrixienne...

The wide open sea est le gros morceau de l'album, littéralement d'abord puisque il totalise près de 18 minutes, devenant automatiquement le deuxième plus long morceau du Big Big Train post-2009 après The underfall yard. Sa structure est complexe, basée effectivement sur une histoire que Longdon nous raconte et des flash-backs: arrivé aux Marquises pour faire le bilan de sa vie, le poète se souvient et dans deux parties de la chanson, Longdon évoque la célébrité et ses mirages, puis l'intégrité d'une évocation d'une taverne de marins (au jugé, je suppose qu'on peut la situer dans le port d'Amsterdam) qui non seulement se connecte très bien avec le reste des chansons de l'album, envahi de cris de mouettes, mais permet aussi de faire une belle transition avec l'appel absolu de la mer qui achève la chanson. Bref: du grand art... Pour installer leurs 18 minutes épiques, les membres du groupe ont décidé de faire les choses en grand: Nick D'Virgilio en roue libre, Dave Gregory et Greg Spawton aux douze-cordes, et en invités d'honneur, le mellotron et le gong! Et aucun autre musicien n'a participé ici à la confection de cette chanson. Incidemment, l'accordéon qu'on entend et qui fait la transition entre la première et la deuxième partie, est interprété par David Longdon.

Désormais placée en dernière position, Master of time a une histoire peu banale: composée par Anthony Philips (le prédécesseur de Steve Hackett dans Genesis) pour un album solo, mais finalement laissée de côté, elle n'était disponible que sous la forme d'une démo: la version de Big Big Train, extrêmement ouvragée, devient donc bien plus qu'une reprise. Les cinq musiciens, réduits à l'équipe traditionnelle, se sont plus à varier les textures encore une fois. Avec l'ajout du banjo de Longdon, ce sont les guitares qui dominent, acoustiques comme électriques. Cinq années avant l'arrivée de Sjöblöm, c'est une manifestation d'une envie d'élargir le son du groupe dont le résultat obtenu (en faisant participer Poole et Spawton aux guitares) leur donne raison. Après un refrain lyrique, qui dépend intensément des choeurs, Gregory se fend d'un excellent solo, soutenu cette fois par des nappes impressionnantes de claviers. Je ne suis pas un fervent soutien des bricolages a posteriori sur les albums déjà sortis, mais le placement de Master of time, désormais, en fin de disque, prend tout son sens: c'est une fin très appropriée...

Avec six chansons, d'importances diverses (je ne pense pas qu'il faille mettre Kingmaker et The wide open sea sur le même plan que British racing green, et vice-versa), Big Big Train a certes tendance, sur ce disque court, à aller à l'essentiel, sans pour autant se permettre les grandes architectures sonores qu'ils vont explorer ensuite. Mais l'histoire a prouvé que ce Far Skies Deep Time (dont le titre provient en droite ligne des paroles de The underfall yard, bien sûr) était bien plus qu'une simple pause entre deux projets ambitieux. Et la présence de Kingmaker, qui allait lui-même être repris sur scène (on l'entend sur A stone's throw from the line), assure à cet album une place de choix malgré tout. En retrait, mais il est là et bien là... Et avec le travail du son par Rob Aubrey qui était quasiment, voir photos, le sixième membre du groupe, on est en territoire familier.

 

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