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Spiral

De musique avant toute chose

Donovan Mellow Yellow (Epic, 1967)

Après avoir mis le feu aux poudres, et inauguré presque à lui tout seul la fête musicale délirante qui sera le mot d'ordre de 1967, Donovan continue sur sa lancée: son album de 1967, en effet, commence exactement là ou finit Sunshine Superman, et le producteur Mickie Most pousse son copain à exploiter les mêmes filons... ce qui ne sera toutefois pas exactement le cas. 

Comme Sunshine Superman, Mellow Yellow contient un certain nombre de morceaux qui prennent exactement le pouls du rock contemporain, en laissant Donovan le dandy chanter par-dessus des arrangements dans l'heure du temps: une fanfare arrangée par le bassiste John Paul Jones, dont la justesse est controversée sur le morceau-titre; un ensemble de jazz mettant en vedette la contrebasse de Danny Thomson ou Spike Heatley, le piano de John Cameron, et la batterie de Phil Seamen, plus un ensemble de vents arrangé par Cameron, sur The Observation; et enfin un mélange de styles, entre jazz et rock, acoustique, électrique et baroque, sur les thèmes de Bleak city woman, Museum et Sunny South Kensington.

Les paroles de ces chansons sont dans la même veine "libérée" que Sunshine Superman, également: parler de tout et de rien, reposer sur l'effet (Sur le très sensuel Bleak city woman, écoutez la façon dont Donovan reste sur les syllabes dans "I'll tell you what I'm gonna do, I'm gonna make love to you"), montrer un instantané de l'époque, en accumulant les noms (sur Sunny South Kensington, il nous conte les allées et venues de personnalité dans un quartier à la mode: "Jean-Paul Belmondo and Mary Quant got stoned to say the least, Ginsberg he ended up dry, he took a trip out east"), et se laisser aller à l'ambiguïté rigolarde: quand le single Mellow yellow est paru, en octobre 1966 (aux Etats-unis, car les Anglais ont du attendre jusqu'en février), la phrase "Electrical banana is gonna be a sudden craze, electrical banana has got to be the very next phase" a déclenché un délire de commentaires chez les fans, qui se sont mis à imaginer que le chanteur se lançait dans la promotion de la fumette "light" en prônant de se défoncer à la peau de banane... Alors que la chanson était plus sage (?) la "banane électrique" en question étant essentiellement un appareillage électrique en forme de banane...

Mais si ces quelques exemples nous emmènent encore plus loin du passé de Donovan le troubadour, avec sa casquette à la Dylan et sa grosse Gibson acoustique jumbo, la vérité est qu'en cette nouvelle année, le chanteur est pris entre deux feux: côté pop, il se laisse gentiment porter par son public et ses musiciens; mais côté folk, il manque d'inspiration et le dit carrément, il envisage de prendre sa retraite dans l'austère Writer in the sun, une chanson acoustique très embellie par les arrangements de John Cameron (avec la flûte de Harold McNair): contrairement aux ballades de Sunshine Superman qui privilégiaient un monde fantastique inspiré du faux moyen-âge des contes arthuriens, Donovan parle cette fois de lui, avec une maturité qu'on ne lui connaissait pas. Sand and foam renoue avec un lyrisme surréaliste, mais derrière les mots qui mêlent les deux inspirations, l'Anglaise (à travers la présence de l'océan) et l'Américaine (le désert, la proximité du Mexique), se cache une envie de tout laisser tomber et de prendre la route avec son copain Gyp.

House of Jansch fait la jonction entre le folk traditionnel (Bert Jansch, un ami de Donovan, est un chanteur folk qu'il admire), et les arrangements teintés de jazz de John Cameron. Young girl blues est uniquement accompagnée de la guitare acoustique, et raconte d'une façon directe la vie d'une jeune femme qui a décidé de tenter sa chance dans le monde, mais en paie le prix... Enfin, Hampstead Incident (qui anticipe sur les accords de Babe I'm gonna leave you de Led Zeppelin) montre le psychédélisme des arrangements de Cameron se mettre au service d'une narration assez alambiquée et très équivoque: sortant d'un cinéma, le chanteur est pris dans l'intrigue qu'il vient de voir, et se croit tout à coup infidèle.

Bref, si l'album est sans doute satisfaisant du point de vue de Mickie Most, qui retrouve ici la formule magique (enrichie par le contraste encore plus fort entre les morceaux), il est surtout passionnant par ce qu'il révèle d'un chanteur pris au piège de la créature qu'il a façonné... mais qui est surtout totalement libre de le dire et de s'en plaindre! Un album qui vaut bien plus que sa réputation (certains estiment qu'il s'agirait d'un single avec 9 faces B, ce qui est absurde!), et qui révèle à l'écouteur attentif d'authentiques beautés.

 

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