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Spiral

De musique avant toute chose

Donovan A gift from a flower to a garden (Epic, 1967)

Le titre étrange de ce double album pose un certain nombre de questions, principalement deux... Au-delà de l'imagerie fleurie, en phase avec son époque de glissement vers la vague hippie, Donovan y présente son album comme une "offrande", un cadeau donc, de la fleur au jardin, de l'individu à la collectivité, ce qui du point de vue d'un artiste est toujours au moins pertinent. Mais le fait de désigner cet album précisément change la donne: A gift from a flower to a garden serait, à l'opposé de Mellow yellow ou Sunshine Superman, les deux albums précédents, un cadeau au public? Dans ce cas, on pourra volontiers ironiser sur le fait qu'Epic et Pye, les deux labels, avaient adopté un prix particulièrement fort pour un cadeau! Sinon, l'album est il un double, comme aimait à le considérer à cette époque Donovan, ou un coffret rassemblant deux albums différents? L'esthétique de l'objet, une grosse boîte contenant deux LP complets avec chacun sa pochette différente et son titre, le fait que les deux disques soient aussi différents dans leur politique éditoriale, ferait pencher la balance vers la deuxième solution...

Mais au-delà de ces considérations, l'objet est au moins intéressant par le fait qu'il se démarque justement totalement des autres albums doubles de l'époque, qui était encore avare avec ce type de production: albums enregistrés en concert (Dave Brubeck Quartet at Carnegie Hall, 1963), massive collection de morceaux enregistrés par les artistes afin de représenter leur différences (The Beatles, 1968), album concept au répertoire vaste, mais représentant une certaine unité de ton (Blonde on blonde de Dylan, ou Freak out de Zappa et des Mothers of Invention, tous les deux en 1967), ou hybride live-studio (Wheels of fire, de Cream, 1968): A gift from a flower to a garden n'appartient en effet à aucune de ces catégories, mais n'est pas non plus similaire aux deux albums Epic précédents, puisque chacun de ses deux disques offre un panorama spécifique: pop teintée de jazz, enregistrée avec un ensemble électrique, pour le premier volume (Wear your love like heaven), et folk acoustique qui se concentre sur le thème de l'enfance pour le deuxième (For little ones)... On retrouvait une certaine dualité sur les deux albums précédents, mais tout y était mélangé, aussi bien les thèmes que la musique, parfois au sein de la chanson elle-même. Donovan ici semble chercher à travers la séparation de ses deux inspirations, à se retrouver, lui qui confessait sur Mellow yellow perdre la motivation d'écrire et de composer...

Le résultat réussit à ne pas être trop indigeste, d'autant que le premier disque est court, très court: à peine 26 minutes... Mais la cassure stylistique entre les deux parties est trop importante pour ne pas être soulignée, et c'est ce qui a décidé les deux labels à surtout vendre les deux disques séparément, avec une plus grande facilité pour Wear your love like heaven (dont la chanson-titre est l'unique single de l'ensemble du projet...) du coup, l'album folk For little ones, moins facilement disponible (certains disquaires ont carrément fait l'impasse!) est un peu passé à la trappe...

L'atmosphère de Wear your love like heaven, l'album, est proche des deux albums précédents sur un point: Donovan s'est efforcé d'y continuer certains aspects des arrangements de ses chansons, mais il a quand même privilégié une approche qui va à l'encontre des méthodes habituelles de Mickie Most, le producteur, en assemblant un groupe autour de quelques musiciens, au lieu de se laisser aller à expérimenter avec des musiciens, des studios ou des arrangements différents. Le gros des troupes était constitué de Tony Carr et Keith Webb aux percussions, de Cliff Barton à la basse électrique (sauf sur une chanson où Jack Bruce vient dire bonjour en voisin), de Eric Leese à la guitare et de Mike O'Neill aux claviers. Occasionnellement, la troupe se complète de Mike Carr au vibraphone. L'inspiration est narrative, à quelques exceptions près: Mad John's escape, sur un tempo assez soutenu, mais bénéficiant pleinement de l'approche tranquille des musiciens (Eric Leese y est splendide, dans une approche très jazz), raconte la cavale d'un prisonnier recherché par tous les pandores de l'empire britannique; Sun est une description poétique du'n paysage gorgé de soleil, magnifiée par la texture très riche de la musique; There was a time, notable par l'utilisation swingante d'un clavecin, est un retour sur le passé de Donovan, et son approche plus adulte. Oh gosh, avec son approche contemplative (et la présence de la flûte d'Harold McNair) est sans doute le seul titre à faire la jonction entre les deux albums. Little boy in corduroy adopte le ton d'une comptine, mais Donovan a eu l'idée saugrenue d'y convoquer un choeur de musiciens ivres... Le disque adopte souvent un ton très lyrique, et une poésie surannée, marquée par l'utilisation de langage "à l'ancienne". C'est d'autant plus flagrant dans Under the greenwood tree, dont les paroles proviennent d'un sonnet de Shakespeare... 

Si l'inspiration est typiquement britannique, c'est surtout souvent de Donovan lui-même qu'il est question: Mad John est en fait l'histoire d'un copain à lui et de son évasion d'une institution psychiatrique; la plupart des chansons situent le poète à l'heure des choix, entre deux mondes, mais le plus souvent ravi par ce qu'il voit. La décision de reposer cette fois sur un groupe stable sauve certaines chanson qui auraient été noyées dans la masse, et donne une grande unité à ces 26 minutes, encadrées par deux apothéoses: la dernière chanson Someone's singing, en effet, est la seule à bénéficier d'un arrangement de cordes, et conclut l'album par une ode hippie à la nature, pétrie d'auto-satisfaction improbable: "Happy I am, all on a new day", et "People and flowers are one and the same, all in a chain, at the beginning of a new day". Comme souvent, la chanson est sauvée du naufrage du ridicule par le fait que Donovan, d'une part, est sérieux à 100%: pas de second degré ni d'ironie chez lui... d'autre part, les arrangements en sont intéressants, justement. L'autre apothéose est en fait la première chanson, Wear your love like heaven, une merveille de description psychédélique d'un mélange entre célébration de la nature et extase mystique. La musique en est superbe, le groupe ayant trouvé une miraculeuse unité derrière le chanteur, accompagné par son copain McNair.

For little ones ne possède pas ces "grands moments" mis en scène avec emphase, se contentant le plus souvent de faire entendre Donovan à la guitare acoustique, accompagné ici ou là d'une contrebasse, ou de la flûte d'Harold McNair, rarement plus. Le banjo (comme dans Song of the naturalist's wife) vient parfois se substituer à la guitare. A ce sujet, la dernière chanson Epistle to Derroll est un hommage à Derroll Adams, banjoïste folk Britannique qui a beaucoup influencé Donovan. L'imagerie (nature, présence obsessionnelle de la mer, contes médiévaux, histoires enfantines, fantôme de Lewis Carroll, tout y est du Donovan pur. celui de Sunshine Superman, toutefois, la rupture est consommée entre le troubadour et le folk aride de ses débuts, auquel il ne reviendra que le temps de deux enregistrements quelques années plus tard pour son "Greatest hits", afin d'incorporer de nouvelles versions "actualisées" de ses deux succès Colours et Catch the wind. Ici, il est surtout question d'explorer le monde coloré de l'enfance, sous un versant poétique et totalement compatible avec le psychédélisme... Le folk contenu dans For little ones, maîtrisé et débarrassé du moindre effet, est séduisant, et montre le chanteur et compositeur parfaitement à l'aise. Il venait, il est vrai, de commencer une série de concerts Californiens, restant sur scène seul ou accompagné d'un petit groupe, pour plus de deux heures par soirée...

Voilà, deux albums ou un seul, peu importe, ce qui compte c'est que Donovan avec cet album ambitieux et un peu trop gourmand, ait au moins trouvé l'occasion, à la foi de confirmer son style et son talent, mais aussi de tenter de renouveler en compagnie d'un groupe de musiciens qui fonctionne très bien, ses expériences avec la musique populaire. C'est une demie-réussite à ce niveau, car si l'album s'est bien vendu, beaucoup des chansons de la première partie n'ont pas laissé une trace très importante. Le single Wear your love like heaven en est le seul vrai classique, alors que le répertoire "tranquille" de For little ones a été souvent exploité par Donovan dans les années qui ont suivi: Isle of Islay, par exemple, ou Widow with shawl, allaient souvent intervenir dans les concerts.

Et si on devine que Mickie Most, le producteur officiel du disque, n'a sans doute pas été très actif sur ce disque, il sera de retour l'année suivante avec The Hurdy Gurdy Man, un album qui renoue avec la formule des deux premiers albums Epic de Donovan.

A: Wear your love like heaven / Mad John's escape / Skip-a-long Sam / Sun / There was a time 

B: Oh Gosh / Little boy in corduroy / Under the greenwood tree / The land of doesn't have to be / Someone's singing

C: Song of the naturalist's wife / The enchanted gypsy / Voyage into the enchanted screen / Isle of Islay / The mandolin man and his secret / Lay of the last tinker

D: The tinker and the crab / Widow with shawl / The lullaby of spring / The magpie / Starfish-on-the-toast / Epistle to Derroll

 

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