Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Spiral

De musique avant toute chose

Red hot chili peppers Blood Sugar Sex Magik (Warner, 1991)

Le cinquième album des Red Hot Chili Peppers est sans doute, au milieu de leur désormais imposante discographie, et alors qu'ils sont pour leur part muséifiés pour de bon, la grande date incontournable, le tournant, le centre, un aboutissement et un nouveau départ... Ca a l'air beaucoup dit comme ça, mais rappelons quand même qu'il a été précédé, en 8 années, d'une montée en puissance inéluctable, de quatre albums, de deux changements de batteurs et de deux changements de guitaristes, et d'un changement de label, en forme de partie de saute-mouton: sans avoir fini le premier contrat (avec EMI) le groupe insatisfait souhaitait moins d'ingérence, et plus de libertés après l'enregistrement de Mother's milk qui les avait laissés sceptiques. Après avoir quasiment trouvé un accord avec Columbia/Sony, l'élégance affichée des dirigeants de Warner les ont persuadés de signer finalement avec eux. 

Mother's milk était le premier album du nouveau quatuor: exit le batteur Jack Irons, et exit le guitariste Hillel Slovak, celui qui a forgé es contours du son de guitare du groupe, et a été jusqu'au bout de son addiction à l'héroïne... Avec Chad Smith, la rythmique a trouvé une phénoménale stabilité, et avec le jeune John Frusciante (21 ans à l'enregistrement de cet album), le groupe a trouvé à la fois une continuité suffisamment novatrice, et un nouveau souffle: car si Frusciante a pu adopter et faire sienne la méthode Slovak, en l'adaptant bien entendu, il apporte aussi une sensibilité de compositeur. Avec lui, les Peppers vont sortir de la tendance sempiternelle à accumuler les grooves, et écrire d'authentiques chansons. Et sur ce disque en particulier, ça se sent...

Enregistré entre mi-mai et mi-juin 1991, dans le studio Mansion du producteur Rick Rubin à Laurel Canyon, on peut dire que l'album se place d'entrée dans la continuité d'un rock Américain, qui remonte jusqu'aux années 68-69, depuis que le quartier est devenu le repère de toute une faune de musiciens. Cet aspect rejaillit dans l'album, qui se démarque fortement de ses prédécesseurs. Flea, le bassiste, s'adapte aux chansons en décidant de prendre le contrepied de sa tendance habituelle: au lieu d'occuper en permanence le terrain, il développe ici une approche totalement mélodique de l'instrument, tout en maintenant a pression avec Chad Smith. Là où l'album précédent voyait le groupe reposer sur des guitares qui  singeaient le hard-rock, Frusciante laisse parler ses influences Hendrixiennes, et c'est l'un des atouts fondamentaux de cet album. Il suffit d'écouter de quelle façon il complète ou dynamise le jeu de Flea, ou comment il approche les mots de Kiedis sur Under the bridge; ses solos sont rarement bavards, ils sont toujours courts et totalement naturels, comme s'il parlait avec sa guitare... Le funk et la fusion sont toujours là, mais intégrés dans l'approche de composition sans en représenter l'exclusivité. Dans le parcours des 17 chansons, toutes collées les unes aux autres dans un continuum qui jamais ne vire au boursouflage, on passe du coq à l'âne, du funk à la ballade, et si l'ensemble des chansons privilégient une captation du groupe, sans overdubs envahissants, la variété des climats est un atout considérable: If you have to ask, Funky monks, Under the bridge, Give it away, The power of equality, ou Breaking the girl, non seulement on change en permanence les ingrédients du style, mais en prime le nombre de ces chansons qui deviendront des standards du groupe est impressionnant...

Les thèmes évoqués sortent du cycle habituel de provocations diverses et d'auto-célébration de la vie festive d'un Californien en short: dès l'introduction, The power of equality attaque la bigoterie et le racisme, questionne une fois de plus l'égalité aux Etats-Unis (en attaquant en particulier le Sud); Under the bridge, classique majestueux, dresse le bilan du parcours d'un héroïnomane qui doit aller chercher ce dont il a besoin jusque dans les bas-fonds; beaucoup de chansons tournent autour de la sexualité, en célébration parfois, en questionnement aussi: Sir psycho sexy est un autoportrait parfois sardonique d'Anthony Kiedis. Breaking the girl (avec ses guitares acoustiques et ses percussions étonnantes) et I could have lied, étendent enfin le sujet à la difficulté de maintenir une relation. L'âge adulte? Ce qui ne les empêche pas de célébrer le don de soi absolu contenu dans l'acte artistique (oui, c'est CA le sujet de l'étrange Give it away, le Come together des années 90) Mais l'album ne fait pourtant jamais mentir son titre, en étant une célébration festive, dynamique, magique enfin de la vie. C'est de l'énergie pure qui se dégage de ces chansons au son direct: bien sûr, l'électricité est là, mais Rubin a capté le son des amplificateurs, sans la compression des années 80 et la tendance à en rajouter (l'expression  à bannir de toute la musique Américaine, selon moi, c'est "gros son"). Bref: le groupe a définitivement trouvé sa façon de sonner, son mode de fonctionnement aussi. 

17 chansons, c'est beaucoup. Il y a forcément du remplissage: par exemple, Kiedis ne porte pas dans son coeur la chanson The greeting song. Funky monks a été rapidement abandonnée sur scène; They'red hot ressemble à une jam session country passée en 78 tours pour rigoler. Pourtant ces titres ont été préférés au futur single Soul to squeeze pour figurer dans l'album... C'est qu'en l'état, avec ses scories et ses chansons en trop, l'album est parfait. Meilleur que la somme de ses 17 chansons, c'est la marque d'un album réussi... Du coup, le succès énorme devenait inévitable: médias, pressions, tournée, stades.

La suite de l'histoire, bien sûr, est moins drôle. Kiedis maintenait sa consommation d'héroïne et de cocaïne sous contrôle, du moins le croyait-il. Ce ne serait pas toujours le cas, et les pressions du succès allaient agir sur lui, comme sur le groupe, d'une façon inquiétante. Le jeunôt Frusciante aimait faire partie de la confrérie des RHCP, et n'a pas compris pourquoi tout à coup le monde entier les regardait. Les stades, les foules adulatrices, les télévisions, il a tout pris en pleine poire, au point de s'enfermer dans sa coquille, de devenir un danger pour le groupe (refusant par exemple de jouer les accords d'Under the bridge, mettant Kiedis en danger, ou en refusant de jouer tout court parfois). Devenu irascible, mauvais et ingérable, il a été viré, a pris du recul, et est tombé dans l'héroïne. Qu'il s'en soit sorti (au point où il a pu revenir pour 7 années de bonheur 8 années plus tard, entre Californication et Stadium Arcadium) est un miracle: en attendant, les Red Hot Chili Peppers sont entrés en 1992 dans une nouvelle tourmente pour trouver un guitariste. 

Par contre, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils avaient un classique sur les bras. Un disque incontournable...

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article