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Spiral

De musique avant toute chose

Bruce Springsteen The River (Columbia, 1980)

Face A The ties that bind / Sherry darling / Jackson cage / Two hearts / Independence day

Face B Hungry heart / Out in the street / Crush on you / You can look (but you better not touch) / I wanna marry you / The river

Face C Point blank / Cadillac Ranch / I'm a rocker / Fade away / Stolen car

Face D Ramrod / The price you pay / Drive all night / Wreck on the highway

Produit par Bruce Springsteen, Jon Landau, Steven Van Zandt

Singles: Hungry heart / Point blank / Fade away / The river / Cadillac ranch / I wanna marry you / Sherry darling

Après Born to run (1975) et ses épopées, Darkness on the edge of town (1978) marquait une certaine rupture. Une rupture probablement motivée par un environnement musical en pleine mutation: le punk était là, et Springsteen ne pouvait que sympathiser avec le mot d'ordre de retour aux fondamentaux. De nombreuses chansons de l'époque de The river, publiées ultérieurement, en témoignent: la face B Held up without a gun qui est une chanson complète en moins d'1mn 15, par exemple, ou la chanson Where the bands are dans laquelle Bruce Springsteen dit ouvertement: moi aussi, je veux aller dans cette direction, là où vont les groupes... 

Un groupe, justement, Bruce en a un, et il s'est stabilisé à une formation confortable: la rythmique, depuis Born to run, est composée de Max Weinberg à la batterie et Gary Tallent à la basse. Deux claviers désormais: Roy Bittan au piano, et Danny Federici à l'orgue, une combinaison qui va beaucoup faire pour le son Springsteen (Ecoutez le travail superbe de Federici à l'orgue Hammond sur Hungry Heart, par exemple). Clarence Clemons est aux saxophones, mais une fois de plus, son rôle est limité, puisque l'heure n'est plus aux durées pharaoniques pour des ballades interminables... Enfin, depuis l'album précédent, Springsteen a décidé de partager le poste de guitariste en faisant appel à un autre grincheux, touche-à-tout de génie: là où Springsteen continue à n'utiliser que des Telecasters, "Miami Steve" Van Zandt a un goût prononcé pour le fait de passer d'un modèle à l'autre, ce qui va élargir la palette sonore...

Maintenant après les errances épiques, Bruce grandit et décide d'une part de faire partie des adultes: on parle ici de passer à l'étape supérieure, de mariage, mais aussi de nostalgie: "Go back to the river", le mot d'ordre de Springsteen est finalement toujours le même: faire le compte des échecs des petits et des sans-grade qui n'ont que les yeux pour pleurer et les souvenirs pour soupirer. Et cette envie de retourner à l'enfance va passer par un double album, 20 chansons qui définissent le champ d'action du E-Street Band mieux que n'importe quel autre album du Boss. Dès le départ, avec l'ouverture tonitruante de The ties that bind, reconnaissable entre tous par la présence d'une guitare électrique douze cordes (Steve Van Zandt, qui a bien écouté les Byrds lui aussi), on est dans une ambiance à la fois festive et nostalgique, qu'on ne quittera plus, de ballade (I wanna marry you) en évocation amère (The river), de rock 'n roll (Cadillac Ranch, Sherry Darling) en nouvelles épopées tristes (Point blank, Drive all night, la seule chanson à dépasser les cinq minutes). 

Mais cette fois Springsteen ne pousse pas les chansons plus loin que là où leurs couplets et refrains les amènent. Le choix de la quantité, dans certains cas, peut être embarrassant; pas chez Springsteen, qui maîtrise toutes les formes de chanson populaires, et qui connait sur le bout des doigts le répertoire Américain. Et bien que marquées par un plus grand recours au réalisme que de coutume, ses histoires restent émotionnelles, vécues, sincères, et d'une clarté absolue...

Selon la légende, c'est en apprenant que The Clash sortirait un triple album (Sandinista!) que Springsteen aurait imposé son caprice, en demandant lui aussi un allègement du prix de vente de son double album. Contrairement aux anglais, en revanche, son album, lui, s'est fort bien vendu...

Je sais qu'il est toujours de bon ton d'aimer le chef d'oeuvre officiel Born to run, mais... Avec ce disque mieux équilibré, plus vaste aussi, il me semble qu'il va droit au but, sans rien renier, tout en renouvelant son art de la plus belle des façons: entre Hungry heart et The river, la palette est large, dansante, pleinement satisfaisante, bref: généreuse. Bien sur Springsteen, depuis le premier jour, compose toujours des chansons dédiées aux oubliés. Sauf qu'une fois qu'il a grandi, ces contes noirs sont finalement encore plus empreints d'un goût de cendre. A écouter avec des mouchoirs: près de quarante ans après, l'émotion est intacte.

 

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