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Spiral

De musique avant toute chose

Joe Jackson Night and Day (AM records,1982)

Face A Another world / Chinatown / TV Age / Target / Stepping out

Face B Breaking us in two / Cancer / Real men / Slow song

Joe Jackson : Vocal, Claviers, Vibraphone, Sax alto, percussions... / Sue Hadjopoulos : percussions / Graham maby : Basses Fender et fretless / Larry Tolfree : Batterie

Cinquième album pour Joe Jackson, et il ne pouvait pas aller plus loin de ce qu'il faisait à ses débuts... On a le sentiment, surtout maintenant, que le grand échalas n'a jamais aimé faire trop longtemps la même chose, et on en viendrait même à se demander comment il a pu maintenir son « Joe Jackson band » de 1978-1980 sur trois albums, sans les planter un beau jour sur scène... Entre cet épisode très en phase avec le rock blanc de ce qu'on appelait encore confusément la new Wave, et cet album de soul très marquée par le jazz new-yorkais, se situe un album unique, en forme d'hommage au jazz des années 40, et sur lequel je reviendrai ultérieurement, Jumpin' jive...

Mais si les années 80 seront marquées par une mode obsessionnelle d'un retour au jazz, cet album se situe beaucoup plus dans la tête de Jackson, principal maître d'oeuvre, une fois de plus, d'un album à l'esthétique bien affirmée, mais aux chansons tout à fait personnelles, et surtout dans la ligne de sa production de râleur impénitent, et, comme toujours, pas forcément politiquement correct. Y compris maintenant.

Sous une pochette « Ligne claire », Jackson a appelé son album Night and day, ce qui aura pour effet de déclencher un véritable malentendu. La chanson Night and day de Cole Porter est bien sûr un standard, dont il doit exister plusieurs milliers d'interprétations dans le jazz classique... Mais entre cet album et Body and soul, paru deux ans plus tard, l'anglais a voulu donner sa vision de la musique Américaine contemporaine, tout en jouant avec les codes esthétiques du jazz (Il suffit de comparer la pochette de Body and soul avec son modèle, l'album Blue note « Volume 2 » de Sonny Rollins.... Pourtant pas de jazz chez Joe Jackson!). Mais le titre de l'album Night and day se justifie surtout par le fait que Jackson rend ici hommage aux deux facettes de la ville dans laquelle il a choisi de vivre : une face nuit, et une face jour se suivent donc arbitrairement.

Face nuit : c'est par la percussion que l'on entre dans l'album, il faut dire qu'entre Larry Tolfree (Rescapé de Joe Jackson's Jumpin' Jive et donc rodé au jazz à l'ancienne) et la percussionniste Sue Hadjopoulos, on est servi ! La chanson sert donc à nous plonger dans un feu continu de timbales, congas et bongos brûlants, qui ne sont prolongés d'harmonie que par la basse, le piano et d'éventuelles notes de vibraphone. Le décor musical est planté, et l'album peut commencer, dans « un autre monde » (Into another world).

Toute la face A continue sur cette lancée d'une plongée dans la nuit New Yorkaise, une nuit faite de danse, de bruits qui se chevauchent, d'où une idée inattendue : qu'elles soient en harmonie ou non, toutes les chansons s'enchaînent un peu brutalement, d'où une impression durable de traverser des rues où l'on joue de la musique à tous les coins..

Puis Jackson nous entraîne à sa suite dans une recherche de Chinatown, avant de décocher sa première flèche en direction d'un monde simplifié qui se réfugie devant la télévision dans TV age. Certaines paroles sont toujours actuelles : « No need for movies, we've got HBO » !

Target nous rappelle que la nuit à New York, tout renvoie à la publicité, puis Steppin' out est une ode générique à la nuit, doublée d'une merveilleuse mélodie que le crooner entonne sans un gramme de second degré... Ca sentait le single, c'était plutôt inévitable. Mais cette chanson va devenir un standard de Joe Jackson, avec sa suite d'arpèges partagés entre synthétiseur et piano... On est, en effet, bien loin du jazz, finalement.

Face Jour : quatre chansons seulement, et une seule qui prolonge le voyage teinté de jazz. Mais là encore, la même équipe, qui a enregistré l'album en autarcie dans un studio, l'une des conditions imposées par Jackson à son label... Donc on commence par une ballade mélodiquement superbe, et comme souvent, consacrée à une rupture : un sujet qui inspire souvent les anglais, vous avez remarqué ? Breaking us in two inaugure une nouvelle phase de l'album, et désormais les chansons ne s'enchaînent plus...

Cancer est un des grands moments de l'album, dans lequel Jackson râle avec un certain talent sur les manies sanitaires de la Grande Pomme, un endroit ou l'obsession du cancer commence à se faire sentir un peu partout. S'il fait un certain humour pour apprécier les paroles (Everything gives you cancer, there's no cure, there's no answer), la musique d'inspiration afro-cubaine est un très grand moment, dans lequel si l'arrangement laisse parfois un peu trop de place au piano de Jackson, qui est encore un peu vert pour assumer une telle quantité de solo. Mais par contre il se distingue avec une partie « contrôlée » de sax alto...

On arrive à Real men, la chanson la plus controversée, une chanson qui reprend, après Pretty Boys, sur Beat crazy, l'idée de traiter de l'homophobie à travers le point de vue d'un homophobe. Et ça peut ne pas marcher, l'auditeur n'ayant aucune distance... Mélodiquement et harmoniquement, c'est en revanche d'une grande maîtrise, avec un certain lyrisme dans le refrain, qui annonce d'ailleurs les ambiances « émotionnelles » de la chanson suivante...

Pour finir, Joe Jackson décide d'arriver au bout de son voyage musical, avec une mélodie basée sur des arpèges de piano, et de le faire en toute transparence : A slow song plaide pour un arrêt de l'énergie, et pour un corps à corps musical autour d'une chanson lente, pour ceux qui sont « terrorisés par les basses » et « brutalisés par les aigus »... Un arrêt en forme d'appel à la tendresse, qui n'a rien de naïf : A slow song est comme le reste de l'album, un appel du pied à remettre la musique à plat, enregistré avec des musiciens qui, s'ils sont peu nombreux, n'en ont pas moins fait une œuvre vraiment singulière, passionnante, et... vite finie. Un disque unique d'un groupe éphémère, qu'on a un peu oublié aujourd'hui, mais qui reste l'un des jalons essentiels d'une carrière singulière.

 

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